Un employeur peut -il licencier disciplinairement un salarié en raison d’éléments que ce dernier a publiés sur son compte privé Facebook ?
Par cet arrêt du 30 septembre 2020 la chambre sociale se prononce sur le point de savoir si un employeur peut licencier disciplinairement un salarié en raison d’éléments que ce dernier a publiés sur son compte privé Facebook et surtout si l’employeur peut rapporter de manière licite la preuve de la publication litigieuse
La chambre sociale rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve (Soc., 18 mars 2008, pourvoi n° 06-40.852, Bull. 2008, V, n° 65 ; Soc., 16 janvier 1991, pourvoi n° 89-41.052, Bulletin 1991 V N° 15). Mais elle constate qu’en l’espèce la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par une autre salariée qui était autorisée à accéder au compte Facebook de la salariée licenciée. La chambre sociale décide donc que le procédé d’obtention de la preuve n’avait pas été déloyal. Cette situation se distinguait de celle ayant donné lieu à un arrêt diffusé dans lequel la chambre sociale avait admis le rejet d’un procès-verbal de constat d’huissier établi à la demande d’un employeur et rapportant des informations extraites d’un compte Facebook d’une salariée obtenues à partir du téléphone portable d’un de ses collègues (Soc., 20 décembre 2017, pourvoi n° 16-19.609).
La chambre sociale examine alors la question de production en justice de la preuve ainsi recueillie. En effet, si le procédé d’obtention de la preuve n’est pas déloyal, la production de la preuve en justice n’est-elle pas néanmoins attentatoire à la vie privée de la salariée ?
Sans se référer au nombre de personnes autorisées par le titulaire du compte Facebook à y accéder, la chambre sociale juge que la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, ainsi que d’éléments d’identification des personnes enregistrées comme “amis” destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.
Pour autant, la chambre sociale rappelle que les juges du fond doivent mettre en balance, ainsi que le fait la Cour européenne des droits de l’homme, la protection de la vie privée et le droit à la preuve, et opérer ainsi un contrôle de proportionnalité en recherchant si la production litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte à la vie privée qui en résulte est proportionnée au but poursuivi (1re Civ., 25 février 2016, pourvoi n° 15-12.403, Bull. 2016, I, n°48 ; 1ère Civ., 22 septembre 2016, pourvoi n° 15-24.015, Bull. 2016, I, n°178 ; au regard du secret bancaire Com., 15 mai 2019, pourvoi n° 18-10.491, publié).
La chambre sociale confirme ici la jurisprudence qu’elle avait établie dans une hypothèse dans laquelle un syndicat avait produit devant le juge des référés des décomptes de durée de travail de salariés afin de faire constater une méconnaissance d’une interdiction d’emploi de salariés le dimanche (Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016,V, n° 209).
En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que l’employeur, qui reprochait à la salariée d’avoir publié sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection présentée exclusivement à certains membres de l’entreprise, s’était borné à produire la photographie publiée par la salariée sur son compte Facebook et le profil professionnel de ses seuls « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour répondre à la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte. La chambre sociale juge que la cour d’appel a ainsi fait ressortir, d’une part, que la production de ces éléments était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et, d’autre part, que l’atteinte à la vie privée de la salariée avait été proportionnée à l’intérêt légitime de l’employeur tenant en l’espèce à la confidentialité de ses affaires.
Enfin, rappelant qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (Soc., 21 octobre 2003, pourvoi n° 00-45.291, 01-44.761, Bulletin civil 2003, V, n° 259 ; Soc., 27 mars 2012, pourvoi n° 10-19.915, Bull. 2012, V, n° 106), la chambre sociale juge que la cour d’appel a pu retenir que la publication par la salariée sur son compte Facebook, regroupant plus de 200 amis travaillant dans le même secteur d’activité, de cette photographie de la nouvelle collection qui n’était pas encore publique constituait une violation de son obligation contractuelle de confidentialité.
Cour de Cassation le 30 septembre 2020, n°19-12.058.
« Réponse de la Cour
12.Un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
13. La cour d’appel a d’abord constaté qu’une clause de confidentialité figurait au contrat de travail de la salariée. Elle a ensuite relevé que la salariée avait publié la photographie du défilé de la collection 2015 sur son compte privé Facebook comptant plus de 200 « amis » professionnels de la mode travaillant soit pour T… H…, sans avoir eu accès au défilé confidentiel du 22 avril 2014 destiné aux commerciaux, soit auprès d’entreprises concurrentes. Elle a ajouté que la salariée ne pouvait garantir l’absence de diffusion dans un cercle encore plus large par ces « amis », dans un secteur très concurrentiel où l’employeur justifiait d’agissements de contrefaçon.
14. En l’état de ces constatations, et sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, la cour d’appel a pu en déduire que cette publication caractérisait un manquement à l’obligation contractuelle de confidentialité de la salariée et constituait une faute grave rendant impossible son maintien dans l’entreprise.
15.Ainsi, le moyen qui critique des motifs surabondants dans sa deuxième branche et est inopérant en sa quatrième branche, n’est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ; »