Quand le salarié peut-il produire des éléments de preuve réunis à l’insu de son employeur : Vers un revirement de jurisprudence ?
Deux arrêts de Cour d’appels sont venus préciser les circonstances dans lesquelles le salarié peut produire en justice des éléments de preuve réunis à l’insu même de son employeur qui étaient jugés jusqu’ici illégaux.
La preuve est l’élément central du procès.
Pour rappel l’article 9 du code de procédure civile indique qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Par principe, les enregistrements obtenus de manière illicite en matière civile sont interdits et non valables.
Ceci signifie que tout enregistrement d’une conversation téléphonique ou autre sans l’accord des participant, est illégal et ne peut pas être utilisé dans le cadre d’une procédure judiciaire civile.
Si on enregistre une situation au cours de laquelle on est droit d’attendre la protection de la vie privée, on se place sous le coup de la loi et, le cas d’échéant, on est passible de dommages et intérêts. Les enregistrements sont seulement autorisés là où chacun peut reconnaitre qu’il n’y a pas de protection de vie privée. Il en va ainsi si les deux parties savaient qu’elles étaient enregistrées.
C’était ici la position adoptée par les tribunaux.
Pourtant, trois arrêts de la Cour de cassation en date de fin 2020 sont venus préciser le régime de la preuve de l’employeur qui peut désormais produire en justice des preuves pourtant illicites ou qui porte atteinte à la vie privée du salarié, si elles sont indispensables et proportionnées au but poursuivi.
Mais alors qu’en est-il pour le salarié ?
On le sait la preuve est parfois difficile à ramener pour le salarié, surtout en cas de harcèlement moral ou sexuel.
Ainsi, il se devra, en cas de harcèlement, et en vertu de l’article L1154-1 du code du travail, de présenter « des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ».
La question se posait alors pour les enregistrements clandestins réalisés par le salarié à l’insu de son employeur.
Depuis de nombreuses années, de nombreuses associations ou encore le défendeur des droits militaient pour autoriser les modes de preuves clandestins, qui étaient jugés illicites par les Tribunaux pour permettre au salarié de ramener la preuve de son harcèlement.
L’évolution des modes de preuves a pris un tournants avec deux arrêts de Cour d’appel ;
La Cour d’appel d’Aix en Provence dans un arrêt du 29 novembre 2018 a jugé que la production d’un tel enregistrement possible, quand bien même cet enregistrement aurait été réalisé à l’insu de la personne enregistrée, dans la mesure où cet enregistrement est strictement nécessaire à la défense des intérêts du salarié, caractérisant l’absence de toute disproportion entre les droits de la défense du salarié et la vie privée de la personne enregistrée.
Ainsi, la Cour a considéré que cette preuve était recevable parce qu’elle a été considérée nécessaire aux droits de la défense, en dépit de l’atteinte à la vie privée de l’employeur qu’elle pouvait constituer.
Par arrêt du 10 mai 2019, la Cour d’appel de Toulouse a repris la même analyse, indiquant que la production de tels enregistrement était recevable dès lors qu’elle était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte à la vie privée de la personne enregistrée à son insu était proportionnée au but poursuivi. (CA Toulouse, 10 mai 2019, n° 17/02966)
Dès lors, si la décision du 25 novembre 2020 de la Cour de cassation concernait les modes de preuve employés à l’encontre des salariés, l’application du principe par analogie et à l’encontre des employeurs, vient renforcer la position de la Cour d’appel de Toulouse, et pourrait permettre une grande évolution dans les modalités de preuve pour les salariés victimes.
Si on se base sur cette jurisprudence novatrice, on peut, peut être imaginer son application aux enregistrements obtenus déloyalement.
Sans nier l’atteinte à la vie privée en résultant, la Cour considère que l’intérêt légitime de l’employeur peut justifier une telle entorse, sous réserve :
- que les éléments de preuve aient été recueillis loyalement ;
- que l’atteinte à la vie privée soit proportionnée au but poursuivi par l’employeur ;
- que la production des éléments soit indispensable à l’exercice du droit de la preuve.
CA Aix-en-Provence, 29 novembre 2018, n° 16/05700 :
« La production d’enregistrements réalisés à l’insu de l’employeur était recevable dans la mesure où elle se révélait strictement nécessaire à la défense des intérêts du salarié et qu’elle n’était pas disproportionnée. »
Arrêt du 25 novembre 2020 (17-19.523) – Cour de cassation – Chambre sociale –
« Les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte par l’exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel et doit faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL.
En application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’illicéité d’un moyen de preuve, (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »