Controle du licenciement motif économique : nécessité de démontrer le caractère sérieux et durable des pertes d’exploitation
Nécessité de démontrer le caractère sérieux et durable des pertes d’exploitation pour justifier le motif économique de licenciement
La constatation de résultats d’exploitation déficitaires pendant trois années consécutives, malgré une hausse du chiffre d’affaires, ne suffit pas à établir le caractère sérieux et durable des pertes d’exploitation, condition essentielle pour justifier un licenciement pour motif économique.
Dans cette affaire, (Cass. soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.852) une assistante administrative est licenciée pour motif économique. L’employeur justifie cette décision par des difficultés économiques, bien que l’entreprise ait connu une augmentation de son chiffre d’affaires.
La salariée conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes.
La cour d’appel retient que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. Elle relève que la lettre de licenciement évoque les difficultés économiques du groupe, matérialisées par des résultats d’exploitation déficitaires depuis trois ans, compromettant la compétitivité de l’entreprise ainsi que sa capacité à maintenir et développer son activité.
La cour s’appuie principalement sur un tableau démontrant, pour le secteur concerné, l’existence de pertes en 2015, 2016 et 2017, malgré une hausse du chiffre d’affaires. Selon elle, ces chiffres traduisent des difficultés économiques avérées dans le secteur.
La salariée forme alors un pourvoi en cassation.
Cadre juridique
Depuis la loi Travail du 8 août 2016, l’article L. 1233-3 du Code du travail définit les critères permettant d’établir des difficultés économiques justifiant un licenciement. Ces difficultés doivent être caractérisées par l’évolution significative d’au moins un des indicateurs suivants : baisse des commandes, baisse du chiffre d’affaires, pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation (EBE), ou tout autre élément pertinent.
Dans un arrêt du 1er février 2023 (publié au Bulletin), la Cour de cassation a considéré qu’une dégradation durable et sérieuse de l’EBE suffisait à établir l’existence de difficultés économiques (Cass. soc. 1er février 2023, n° 20-19.661).
Cet arrêt présente plusieurs enseignements essentiels :
- Confirmation de la jurisprudence antérieure :
La Cour de cassation confirme qu’il est possible de caractériser des difficultés économiques même en l’absence d’une baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes.
Dans un arrêt du 21 septembre 2022, elle a rappelé que si ces indicateurs ne sont pas établis, le juge doit examiner l’ensemble des éléments financiers du dossier pour apprécier la réalité des difficultés (Cass. soc. 21 septembre 2022, n° 20-18.511). Dans cette affaire, l’entreprise présentait notamment des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un endettement élevé, ce qui aurait dû être pris en compte.
- Précisions sur les modalités d’appréciation des difficultés économiques :
L’article L. 1233-3 impose un comparatif trimestriel pour évaluer la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en fonction de la taille de l’entreprise :
- 1 trimestre pour les entreprises de moins de 11 salariés,
- 2 trimestres consécutifs pour celles de 11 à 49 salariés,
- 3 trimestres pour celles de 50 à 299 salariés,
- 4 trimestres pour celles de 300 salariés et plus.
La Cour de cassation a précisé que ce comparatif doit être effectué à la même période de l’année précédente que celle du licenciement, et non au moment de la première réunion du CSE (Cass. soc. 1er juin 2022, n° 20-19.957).
En revanche, pour les autres indicateurs économiques tels que l’EBE, ce comparatif trimestriel n’est pas exigé. C’est au juge qu’il revient d’apprécier si la baisse constatée est significative en tenant compte de la durée et de l’ampleur de la dégradation. Dans l’arrêt du 1er février 2023, cette appréciation s’est faite sur une période de quatre années.
Cette souplesse est bienvenue, car en pratique, les analyses comptables des entreprises ne sont pas toujours conduites sur des bases trimestrielles.
- Prise en compte des opérations financières exceptionnelles :
La Cour admet que des résultats positifs ponctuels, obtenus par des opérations financières exceptionnelles, ne permettent pas de masquer une dégradation durable de l’EBE.
Dans l’affaire jugée le 1er février 2023, l’évolution de l’EBE était la suivante :
- –726 000 € en 2014,
- –874 000 € en 2015,
- +32 000 € en 2016,
- –124 013 € en 2017.
L’unique résultat positif en 2016 résultait d’opérations exceptionnelles : renégociation d’un crédit-bail immobilier, baisse des frais de holding, apport en compte courant d’associé. Ces éléments n’étaient pas révélateurs d’une amélioration durable de la situation économique.
La Cour en conclut que l’EBE avait connu une dégradation significative, permettant ainsi de justifier le licenciement économique.
Conclusion
Les difficultés économiques demeurent un motif classique de licenciement économique, mais leur appréciation est loin d’être simpliste. Se limiter à une baisse du chiffre d’affaires ou des commandes serait réducteur. L’analyse doit être globale, sérieuse et adaptée aux réalités économiques de l’entreprise.
Dans un contexte économique tendu, marqué notamment par l’augmentation des prix des matières premières et de l’énergie, cette approche élargie des difficultés économiques devient particulièrement pertinente pour les juges.
Cass. soc., 18 octobre 2023, n° 22-18.852
CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE – licenciement économique – cause – cause réelle et sérieuse – motif économique – appréciation – existence de difficultés économiques – caractérisation – perte d’exploitation – détermination – portée
Aux termes de l’article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés. Doit en conséquence être censuré l’arrêt qui, pour dire fondé sur une cause réelle et sérieuse un licenciement pour motif économique, retient que l’employeur produit un tableau faisant apparaître, s’agissant du secteur d’activité en cause, l’existence, nonobstant un chiffre d’affaires en hausse, des pertes en 2015, 2016 et 2017 et en déduit que les difficultés sont avérées, sans rechercher si l’évolution de l’indicateur économique retenu était significative, les motifs retenus étant insuffisants pour caractériser le caractère sérieux et durable des pertes d’exploitation dans le secteur d’activité considéré