Licenciement pour faute grave : quelle frontière entre vie privée et vie professionnelle ?
Dans un arrêt du 08 juillet 2020, la Cour de cassation éclaircie les cas dans lesquels des faits relevant de la vie personnelle peuvent avoir un lien et des conséquences sur le contrat de travail.
Pour rappel, les faits commis par le salarié dans le cadre de sa vie privée ne peuvent être fautifs dans la relation de travail et ne peuvent ainsi justifier un licenciement disciplinaire. (Cass. soc. 16-12-1997 n° 95-41.326 P; Cass. soc. 19-12-2007 n° 06-41.731 F-D; Cass. soc. 23-6-2009 n° 07-45.256 FS-PB).
Cependant, dans certains cas, ils peuvent être considérés comme se rattachant à la vie professionnelle du salariée.
En ce sens, même si les faits sont commis hors du temps et du lieu de travail du salarié, mais qu’ils sont en lien avec la vie professionnelle du salarié ou alors qu’ils caractérisent qu’ils caractérisent un manquement à une obligation découlant du contrat de travail, ils peuvent constituer une faute et justifier un licenciement disciplinaire (Cass. soc. 3-5-2011 n° 09-67.464 FS-PB : RJS 7/11 n° 588).
L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 juillet 2020 fournit une illustration de cette solution à propos d’un vol commis par un steward lors d’une escale.
Dans les faits, un stewart d’une compagnie aérienne est licencié pour faute grave aux motifs d’avoir gravement manqué à ses obligations professionnelles en termes de comportement et d’attitudes générales et porté atteinte à l’image de la compagnie en ayant dérobé, lors d’une escale, le portefeuille d’un client de l’hôtel dans lequel il séjournait en tant que membre d’équipage.
Il avouera ainsi s’être emparé de 1800 dollars mais considérera que ces faits relèvent de sa vie privée car n’ont pas eu lieu ni sur le lieu de travail ni pendant ses heures de travail.
La Cour va rejeter cet argument en relevant plusieurs circonstances qui suffisent à rattacher les faits reprochés à la vie professionnelle du salarié ;
- Les faits de vol ont été commis dans un hôtel partenaire commercial de l’employeur, qui y avait réservé à ses frais les chambres pour les membres de l’équipe navigante dans laquelle le salarié était affecté ;
- L’hôtel avait signalé le vol à la société employeur et identifié son auteur comme étant un salarié de cette société ;
- C’est en raison de l’intervention de l’employeur que la victime n’avait pas porté plainte.
En conséquence du lien établi entre la vie personnelle et le contrat de travail, le salarié en cause a délibérément manqué à ses obligations professionnelles qui résultaient non seulement de son contrat de travail et notamment de l’obligation de loyauté mais également du règlement intérieur de la société qui prévoyait une obligation de discipline, de conscience professionnelle, de bonne tenue et de discrétion.
Pour précision, il est aussi admis par la jurisprudence de la Cour de cassation que le vol commis par un salarié, en dehors de l’entreprise, qui porte un préjudice au client, caractérise une faute grave même lorsque l’objet dérobé est de faible valeur, que le salarié a une ancienneté importante ou encore qu’il n’a fait l’objet d’aucune reproche antérieurement. (Cass. soc. 16-1-2007 n° 04-47.051 F-P : RJS 4/07 n° 418 ; Cass. soc. 28-3-2012 n° 11-11.981 F-D : RJS 6/12 n° 530).
Arrêt n°629 du 08 juillet 2020 (18-18.317) – Cour de cassation – Chambre sociale –
« Mais attendu que la cour d’appel a relevé que les faits de vol visés dans la lettre de licenciement, dont le salarié ne contestait pas la matérialité, avaient été commis pendant le temps d’une escale dans un hôtel partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais les chambres, que c’est à la société Air France que l’hôtel avait signalé le vol et que la victime n’avait pas porté plainte en raison de l’intervention de la société, de sorte que les faits reprochés se rattachaient à la vie professionnelle du salarié ; que la cour d’appel a, sans méconnaître les termes du litige, légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ; »