Les ruptures du contrat de travail à l’initiative du salarié
A s’en tenir aux textes, le droit de la rupture du contrat de travail paraît fort simple : le contrat de travail conclu sans détermination de durée peut cesser, à l’initiative d’une des parties contractantes. Si donc il cesse à l’initiative de l’employeur, on est en présence d’un licenciement ; et s’il cesse à l’initiative du salarié, on est en présence d’une démission. Il se déduit, par ailleurs, de ce que le contrat de travail est, aux termes de l’article L. 121-1 du Code du travail, soumis aux règles de droit commun que les modes de rupture des contrats ordinaires s’appliquent à la rupture du contrat de travail : rupture d’un commun accord, force majeure, et surtout résolution judiciaire.
Toutefois, la jurisprudence s’écarte sensiblement de cette lecture des textes.
D’abord, à l’effet de tenir en échec toutes les stratégies de contournement du droit du licenciement qui avaient pu se développer, et considérant en outre que l’employeur dispose avec le licenciement du droit de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée pour quelque cause que ce soit, économique ou personnelle, disciplinaire ou non disciplinaire, la jurisprudence cantonne l’employeur à l’exercice de ce droit, le privant de tout autre mode de rupture et, notamment, tant de la prise d’acte de la rupture que d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.
Dans le même temps, à l’effet de protéger le salarié contre lui-même, et considérant en outre que la démission ne lui permet pas de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur, la jurisprudence, d’une part, donne de la démission du salarié une définition très étroite, d’autre part, a légalisé la rupture par le salarié aux torts de l’employeur avec la reconnaissance de la prise d’acte comme mode de rupture autonome quand elle émane du salarié, tout en admettant par ailleurs le salarié à demander en justice la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Il en découle que si l’employeur ne peut mettre fin au contrat de travail que par la voie du licenciement et d’un licenciement initié et formalisé comme tel, le salarié dispose quant à lui de trois modes de rupture autonomes du contrat de travail à son initiative qui ne se recouvrent pas et qu’il convient donc de distinguer précisément : la démission (A), la prise d’acte (B), et la demande en résolution judiciaire du contrat de travail (C). Et comme il peut arriver que ces modes de rupture se chevauchent et se télescopent entre eux, ou avec un licenciement prononcé par l’employeur, se pose alors le problème de leur articulation et de l’office du juge dans cette hypothèse (D). A. LA DEMISSION Comme chacun sait, la démission, c’est la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié. Mais toute rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié n’est pas une démission, ce qui implique de définir juridiquement et précisément la démission (1). Il conviendra, ensuite, de se demander si et à quelles conditions une démission peut être contestée en tant que telle et (ou) requalifiée (2).1 – La notion de démissionLa démission est traditionnellement définie par la jurisprudence comme l’acte juridique unilatéral par lequel le salarié manifeste sa volonté claire et non équivoque de mettre fin au contrat de travail.Que faut-il entendre par « volonté claire et non équivoque de mettre fin au contrat de travail »? Deux précisions complémentaires s’imposent :Ø Il faut d’abord comprendre par là une volonté sérieuse, c’est-à-dire certaine, du salarié tendant précisément à la cessation du contrat de travailAinsi, ne caractérise pas une telle volonté :– Le simple fait pour un salarié de ne plus se rendre au travail sans motif (Soc. 24 janvier 1996, n° 92-43.868, Bull. civ. V, n° 284) ;
– Une formulation imprécise ou incertaine de son intention par le salarié ;– La volonté du salarié (même apparemment déterminée) mais exprimée dans un moment d’énervement ou d’émotion (Soc. 19 octobre 2005, n° 04-41.628, départ brutal de l’entreprise) ;
– A quoi il y a lieu d’ajouter que la Cour de cassation admet qu’une volonté même sérieuse et tendant précisément à la cessation du contrat de travail a un caractère équivoque si elle est rétractée dans un très bref délai par son auteur (Soc. 19 mars 1981, n° 78-40.392, Bull. civ. V, n° 239 et Soc. 5 juin 2001, n° 99-42.091). Faut-il en déduire qu’il n’est de démission qu’explicite ou, ce qui revient au même, qu’une démission ne peut être implicite ? Une réponse affirmative paraît s’imposer : l’implicite étant par nature équivoque, une démission implicite semble rationnellement inconcevable. Quelques (rares) décisions consacrent pourtant des démissions implicites dans des hypothèses où il résultait d’un faisceau d’indices tout à fait concordants que le salarié avait entendu sans véritable ambiguïté mettre fin à son contrat de travail (Soc. 4 mars 2003, n° 00-46.785 et Soc. 10 mars 2004, n° 02-40.652). Une telle solution demeure nécessairement exceptionnelle et implique la réunion par le juge du fond d’une série d’éléments dont la conjonction traduit une volonté peu discutable du salarié de mettre fin au contrat.Ø Il faut ensuite comprendre par « volonté claire et non équivoque », une volonté du salarié qui (au moins telle qu’elle est formulée) n’obéit qu’à elle-même, c’est-à-dire qu’elle n’est pas imputée à un fait de l’employeur.On le comprend bien : la démission, c’est l’exercice par le salarié de son droit de résilier le contrat de travail, c’est donc sa volonté propre (personnelle) de mettre fin au contrat de travail. Si cette volonté est en réalité imputée par lui à l’employeur, ce n’est plus la volonté propre du salarié, et ce n’est donc plus une démission. A tout le moins, cette imputation de la volonté du salarié à un fait de l’employeur lui donne un caractère équivoque exclusif d’une démission.
Il n’est donc de volonté claire et non équivoque du salarié, et partant de démission, que pour autant que les deux éléments qui précèdent sont réunis : volonté certaine du salarié de mettre fin au contrat, d’une part, volonté propre du salarié en ce sens, d’autre part.Il importe donc de bien distinguer à chaque fois en quoi et pourquoi la démission n’en est pas une, car cela induit des conséquences juridiques différentes au regard de l’existence ou non de la rupture et de sa qualification.Cela étant, une fois acquis qu’on est en présence d’une véritable démission comme répondant aux deux conditions qui précèdent, se pose la question de savoir si une telle démission peut être juridiquement contestée et (ou) le cas échéant requalifiée.2 – La contestation ou requalification d’une démission La faculté pour le salarié de remettre en cause a posteriori une « vraie » démission, c’est-à-dire une démission pure et simple et indiscutable quant à l’intention exprimée, et d’en demander au juge la requalification en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, est admise très largement par la jurisprudence et couvre toutes les hypothèses dans lesquelles il apparaît au juge que des agissements ou des manquements de l’employeur ont été de nature à provoquer la démission du salarié.
Pour admettre cette remise en cause de la validité de la démission, la jurisprudence se place, soit, sur le terrain de la définition même de la démission en ce qu’elle suppose une volonté non équivoque du salarié, en considérant que la constatation a posteriori par le juge de manquements de l’employeur a pour effet de rendre rétroactivement équivoque la démission donnée (Soc. 26 janvier 2005, n° 03-40.140), soit, sur le terrain de la contrainte en considérant que l’employeur, par son fait, a contraint le salarié à la démission. (Soc. 22 septembre 1993, n° 92-41.441, Bull. civ. V, n° 221 ; Soc. 21 juin 2006, n° 05-40.025)
Il en découle qu’il n’y a, certes, pas démission s’il y avait altération des facultés mentales du salarié au moment où elle a été exprimée (Soc. 26 septembre 2006, n° 05-40.752). Il en découle également qu’il n’y a pas non plus démission quand celle-ci n’a pas été donnée librement, sauf à préciser ici que le consentement non libre à un acte de démission obtenu par la violence, c’est-à-dire par une pression exercée sur la volonté de l’une des parties. Une telle violence peut bien exister dans la relation de travail : c’est la menace directe, physique, destinée à provoquer la démission, c’est aussi la violence morale tendant à la même fin (Soc. 13 novembre 1986, n° 84-41.013, Bull. civ. V, n° 520) et c’est surtout le harcèlement moral dont la finalité est le plus souvent de pousser à la démission. Mais, hors ces cas, on peut discuter qu’un manquement, même suffisamment grave, de l’employeur à ses obligations contractuelles suffise à caractériser la violence, vice du consentement, car un tel manquement n’est pas destiné à faire pression sur la volonté du salarié pour le déterminer à démissionner, même s’il peut bien l’y conduire (ou l’y contraindre, pour reprendre l’expression parfois utilisée par la jurisprudence pour rappeler sans doute le vice du consentement qu’est la violence mais en lui donnant un sens beaucoup plus large).
Toutefois et à partir du moment où, désormais, le salarié dispose avec la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur (évoquée ci-après) d’un mode de rupture autonome alternatif à la démission et qui repose précisément sur l’imputation à l’employeur de la cessation du contrat de travail, la demande en requalification d’une démission circonstanciée devrait être cantonnée aux cas des un vice du consentement strictement entendu (dol, erreur, violence).
B. La prise d’acte de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salariéLa prise d’acte de la rupture désignait initialement la manifestation de volonté par laquelle l’une des parties au contrat de travail « prend acte de la rupture » du contrat de travail, c’est-à-dire y met fin ou le tient pour rompu, en raison du fait qu’il reproche à l’autre partie.Dans un premier temps, la prise d’acte de la rupture s’est développée comme une sorte de rupture de fait du contrat de travail à laquelle la jurisprudence n’attachait pas de conséquences juridiques en tant que telle. Quand elle émanait de l’employeur, la prise d’acte était, soit, considérée comme un licenciement si elle s’était matérialisée dans une lettre de rupture énonçant des motifs de licenciement, soit, considérée comme une rupture à son initiative valant licenciement sans cause réelle et sérieuse si elle ne s’était pas matérialisée dans une lettre de rupture énonçant des motifs de licenciement. Et, quand elle émanait du salarié, la prise d’acte de la rupture était considérée comme une manifestation de volonté équivoque, ce qui excluait que le juge pût y voir une démission.
C’est cette dernière considération qui a conduit la Cour de cassation à se prononcer directement sur la portée juridique d’une prise d’acte dans ses arrêts de principe du 25 juin 2003 :
– en fermant à l’employeur la voie de la prise d’acte de la rupture, quelle qu’en soit la forme, c’est-à-dire même lorsque cette prise d’acte se matérialise dans une lettre de rupture, et en l’invitant par conséquent à mettre en oeuvre la procédure de licenciement, faute de quoi toute manifestation de volonté de sa part tendant à dire ou voir le contrat rompu s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Soc. 25 juin 2003, n° 01-40.235 et 01-41.150, Bull. civ. V, n° 208) ;– en « légalisant » la prise d’acte de la rupture par le salarié aux torts de l’employeur comme mode autonome de rupture du contrat de travail et en plaçant la qualification juridique de la rupture sous le contrôle du juge prud’homale. (Soc. 25 juin 2003, n° 01-42.679 et 01-42.335, Bull. civ. V, n° 209).Il s’en déduit que, désormais, entre l’exercice par le salarié de son droit de résiliation unilatérale du contrat de travail qu’est la démission et qui lui permet de mettre fin au contrat de travail librement mais sans indemnité, et une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur qui laisse subsister le contrat de travail jusqu’à la décision du juge, il existe une catégorie intermédiaire et autonome de rupture à l’initiative du salarié, sorte de droit de résiliation pour inexécution. L’intérêt de ce mode de rupture pour le salarié est d’emporter rupture immédiate du contrat comme la démission tout en préservant son droit à indemnisation jusqu’à ce que le juge ait statué comme dans le cas d’une demande en résiliation judiciaire.Aussi, que le salarié peut toujours prendre acte de la rupture quand bien même il aurait préalablement agi en justice contre son employeur pour lui reprocher une inéxécution d’une obligation née du contrat de travail (Soc. 21 décembre 2006, n° 04-43.886, FS-PBRI).1) Notion de « prise d’acte »L’expression « prise d’acte » désignait initialement toute manifestation de volonté par laquelle le salarié prend acte de la rupture du contrat en raison d’un fait qu’il reproche à son employeur.
La question s’est toutefois posée de savoir si jurisprudence appliquerait la notion de prise d’acte à toutes les hypothèses même non qualifiées comme telles par le salarié.La réponse a été donnée dans un premier arrêt simplement diffusé de 2005 (Soc. 6 avril 2005, n° 03-43.238) avant d’être reprise dans deux arrêts publiés en 2006 : « lorsqu’un salarié démissionne en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture constitue (ou s’analyse en) une prise d’acte et produit les effets soit d’une démission soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse… » (Soc. 15 mars 2006, n° 03-45.031, Bull. civ. V, n° 109 et Soc. 13 décembre 2006, n° 04-40.527, F-P+B)Par conséquent, la prise d’acte désigne aujourd’hui tout acte par lequel le salarié notifie à l’employeur qu’il met fin au contrat de travail ou qu’il cesse le travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, quelle que soit la dénomination utilisée dans sa lettre (démission, prise d’acte, ou autre…) 2) Portée de la prise d’acte– Une cessation immédiate du contrat de travail La Cour de cassation a posé le principe selon lequel la prise d’acte du salarié rompt immédiatement le contrat de travail.« (…) la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail… »(Soc. 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-PBRI).
Il s’ensuit, logiquement, que si la prise d’acte de la rupture n’a pas été précédée d’une rupture du contrat de travail pour une autre cause, c’est au regard de la seule prise d’acte et en appliquant les règles qui lui sont applicables que le juge doit se déterminer pour la qualification de la rupture, peu important que cette prise d’acte soit suivie d’un licenciement.
3) Régime juridique de la prise d’acteIl est précisément posé par les arrêts du 25 juin 2003 que, si la prise d’acte emporte rupture immédiate du contrat de travail, cela ne préjuge en rien de sa qualification qui sera retenue par le juge, laquelle dépend du point de savoir si les faits reprochés par le salarié à l’employeur justifiaient la rupture ou non. Les conséquences de cette appréciation étant logiquement réglées sur la base de l’alternative licenciement (sans cause réelle ou sérieuse) ou démission. Ø Si les faits invoqués justifiaient la rupture, il s’en déduit que la rupture procède du fait de l’employeur et elle emporte alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Ø A l’inverse, si les faits invoqués n’étaient pas de nature à justifier la rupture, celle-ci, constitue une démission à caractère équivoque et doit en produire les effets : le salarié n’a droit à aucune indemnisation pour la rupture du contrat qu’il a indûment provoqué.Encore convient-il de déterminer quels faits peuvent justifier la rupture et quels faits ne peuvent pas la justifier.Ces questions sont réglées selon l’unique champ d’appréciation du juge qui va trancher au cas par cas.– Démontrer des faits « suffisamment graves » rendant impossible pour le salarié la poursuite des relations contractuelles.La Cour de cassation (comme en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail) s’en remet donc l’appréciation souveraine des juges du fond sur la notion de gravité suffisante (Soc. 16 novembre 2004, n° 02-46.048, Bull. civ. V, n° 287), ce qui peut bien se comprendre, mais ne rend pas aisée la détermination de ceux des faits qui sont de nature à justifier ou non la rupture par prise d’acte.Sans vouloir être exhaustif, on peut relever au fil des arrêts rendus qu’ont été considérés comme des faits suffisamment graves pour justifier la rupture : – le non-paiement de tout ou partie de la rémunération (Soc. 21 décembre 2006, n° 04-43.886, FP-PBRI ; Soc. 20 décembre 2006, n° 04-42.621 ; Soc. 10 mai 2006, n° 04-45.316 ; Soc. 12 juillet 2006, n° 04-48.243 ; Soc. 7 novembre 2006, n° 05-43.549), – la modification de son contrat de travail imposée au salarié par l’employeur (Soc. 11 juillet 2006, n° 04-43.168 ; Soc. 28 novembre 2006, n° 05-41.178), – le non-respect par l’employeur de l’exclusivité du secteur confié au salarié (Soc. 25 janvier 2006, n° 04-40.786), – le non-respect de la réglementation du travail (Soc. 7 octobre 2003, n° 01-44.635, sur le droit au repos hebdomadaire ; Soc. 29 juin 2005, 03-44.412, Bull. civ. V, n° 219, sur le respect de l’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif).A l’inverse, n’ont pas été considérés comme des faits suffisamment graves pour justifier la rupture : le retard ou décalage de quelques jours de certains paiements (Soc. 4 novembre 2003, n° 01-44.740, 19 janvier 2005, op. cit.) ; le non-paiement de commissions alors que l’obligation de l’employeur était incertaine.Il incombera ici que c’est au salarié, qui a pris acte de la rupture aux torts de l’employeur, de rapporter la preuve des manquements de ce dernier et de leur gravité suffisante pour justifier la rupture.
Une question s’est posée quant au champ d’appréciation du juge relatif aux motifs invoqués dans la lettre de prise d’acte du salarié. En d’autres termes, appartenait-il au juge de se cantonner aux seuls motifs invoqués dans sa lettre de prise d’acte ou pouvait-il se référer à d’autres faits démontrés endehors des griefs invoqués dans la lettre de prise d’acte de rupture de son contrat ?Après une hésitation, la jurisprudence a répondu par la négative à cette question en énonçant que l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ce qui signifie que le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit ! (Soc. 29 juin 2005, n° 03-42.804, JCP S 2005, n° 15, n° 1236, obs. J.-Y. Frouin).
C. La demande en résiliation judiciaire du contrat du travail C’est le troisième mode de rupture du contrat de travail à l’initiative (et à la disposition du salarié), à ceci près qu’à la différence des précédents (démission et prise d’acte), le salarié n’a pas ici la maîtrise de la rupture du contrat de travail qui est placée sous le contrôle du juge.
C’est un mécanisme bien connu puisqu’il n’est que la transposition au contrat de travail, sur le fondement de l’article L. 121-1 du Code du travail, d’un mode de rupture commun à tous les contrats et réglementé par l’article 1184 du Code civil.Toutefois, la demande en résiliation judiciaire est une voie de droit interdite à l’employeur par la jurisprudence .La jurisprudence considère ainsi qu’une demande en résiliation judiciaire à l’initiative de l’employeur opère à la manière d’une prise d’acte de la rupture par l’employeur valant licenciement, nécessairement sans cause réelle et sérieuse.(Soc. 5 juillet 2005, n° 03-45.058, Bull. civ. V, n° 232).1) Finalité de la demande en résiliation judiciaire du contrat de travailLa demande en résiliation judiciaire du contrat de travail n’est pas assimilable à une prise d’acte de la rupture du contrat de travail (Soc. 22 février 2006, n° 03-47.639, Bull. civ. V, n° 81). Bien qu’elle en ait tout les traits communs, notamment en ce qui concerne l’appréciation de sa justification.
La différence essentielle réside dans l’objet et la portée de la demande en résiliation judiciaire. On a vu plus haut que la prise d’acte de la rupture par le salarié aux torts de l’employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. Par conséquent, le contrat cesse immédiatement par la volonté du salarié, le juge étant ensuite saisi de la qualification et des conséquences pécuniaires d’une rupture déjà acquise.
Telle n’est pas la situation en cas de demande de résiliation judiciaire. Dans cette hypothèse, demande est faite au juge par le salarié de prononcer la rupture du contrat de travail à raison de manquements de l’employeur, mais cette demande en tant que telle n’a pas d’incidence sur l’existence et le cours du contrat de travail, lequel va continuer à s’exécuter jusqu’à la décision du juge et même, le cas échéant, après cette décision si elle est de rejeter la demande. Le juge est, ici, saisi à la fois du principe de la rupture et de ses conséquences indemnitaires éventuelles.
C’est en quelque sorte l’avantage et l’inconvénient de la demande en résiliation judiciaire par rapport à la prise d’acte de la rupture. – Avec la prise d’acte, le salarié se libère immédiatement d’un contrat dont il estime qu’il n’est pas convenablement exécuté par l’employeur mais il perd aussi définitivement un emploi sans avoir la certitude d’une indemnisation dont l’appréciation dépend du juge. – Avec la demande de résiliation judiciaire, le salarié continue d’exécuter un emploi dont il estime qu’il n’est pas convenablement exécuté par l’employeur mais il conserve son emploi et a la certitude de l’indemnisation ou du maintien dans l’emploi selon que le juge accueille ou non sa demande. 2 ) Les conséquences de la demande en résiliation judiciaire du contrat de travailDe deux choses l’une : – ou bien la demande du salarié est rejetée, et il en résulte que le contrat de travail se poursuit « normalement » (Soc. 26 septembre 2006, n° 04-48.587) ; – ou bien, la demande du salarié est accueillie, et il en résulte que « la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée à l’initiative du salarié et aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse » (Soc. 20 janvier 1998, n° 95-43.350, Bull. civ. V, n° 21). Il est opportun d’ajouter ici que, dans cette dernière hypothèse, la prise d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors qu’à cette date le salarié est toujours au service de son employeur (Soc. 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-PBRI).
3) L’appréciation par le juge d’un motif légitime de rupture du contrat de travail
Tout salarié qui vient à user de ce mode de rupture doit se demander à quelles conditions une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail peut être accueillie. A cet égard, la jurisprudence adopte opportunément et logiquement la même position que sur la question (précédemment évoquée) de savoir quels faits peuvent justifier une prise d’acte de la rupture par le salarié aux torts de l’employeur en énonçant tout à la fois que l’inexécution de certaines des obligations résultant du contrat de travail par l’employeur doit présenter une gravité suffisante pour en justifier la résiliation et que l’appréciation de cette gravité relève du pouvoir souverain des juges du fond (Soc. 15 mars 2005, n° 03-42.070, Bull. civ. V, n° 91 et n° 03-41.555, Bull. civ. V, n° 90). On peut donc se reporter aux développements précédents relatifs à la prise d’acte pour des illustrations de manquements de l’employeur d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire, car ce sont les mêmes (Soc. 22 mars 2006, n° 04-47.516, modification du contrat de travail ; Soc. 20 juin 2006, n° 05-40.662, Bull. civ. V, n° 217, non-paiement des salaires) sauf à y ajouter, comme résultant d’une décision précisément rendue sur une demande en résiliation judiciaire, le manquement de l’employeur à l’exécution de bonne foi du contrat de travail (Soc. 10 mai 2006, n° 05-42.210, Bull. civ. V, n° 169). CONCLUSION :
Il suit des développements qui précèdent qu’il existe aujourd’hui trois modes de rupture autonomes et distincts du contrat de travail à l’initiative du salarié :– la démission qui constitue le libre exercice par le salarié de son droit de résiliation unilatérale du contrat de travail, s’entend de sa volonté propre et ferme de mettre fin au contrat, et ne nous paraît pouvoir être ultérieurement contestée que dans le seul cas d’altération de son consentement ;– la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur, qui s’entend de tout acte du salarié, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel celui-ci met fin au contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à l’employeur, et qui a pour effet de mettre fin immédiatement au contrat mais place la qualification de la rupture et ses conséquences pécuniaires sous le contrôle du juge ultérieurement saisi :– la demande en résiliation judiciaire qui s’entend de la demande faite au juge de prononcer la rupture du contrat pour manquements de l’employeur à ses obligations, laisse subsister le contrat jusqu’à la décision du juge, et a pour conséquence, selon la décision du juge, soit, le prononcé de la rupture aux torts de l’employeur et au jour de la décision judiciaire, soit, le rejet de la demande du salarié et la poursuite du contrat de travail.
La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a modifié lesarticles L.1237-11 à L.1237-16 du code du travail, permettant à l’employeur et au salarié deconvenir d’un commun accord des conditions de rupture du contrat de travail. La rupture conventionnelle du contrat de travail n’est ni un licenciement, ni une démission, mais se présente comme une rupture du contrat d’un commun accord (rupture à l’amiable) entre le salarié et l’employeur. Elle ne peut donc pas être imposée par l’une ou l’autre des parties et doit être scellée par une convention signée. Un consentement libre des parties est primordial. Toutefois, cette rupture conventionnelle est encadrée et des garanties sont offertes au salarié qui a droit, dans les conditions de droit commun (activité passée suffisante, recherche d’emploi active…), au bénéfice du chômage.Attention ! Cette mesure novatrice ne doit pas être considérée comme une autorisation au licenciement ou un moyen de déguiser une démission dès lors que la rupture conventionnelleNe doit pas s’inscrire pas dans une démarche visant à contourner les procédures et les garanties légales », sous peine d’être remise en cause devant le juge prud’homale. Quelle est la procédure à respecter ? La rupture conventionnelle doit obéir à une procédure spécifique destinée à garantir la liberté de consentement : entretien entre les deux parties, homologation de la convention. Elle doit être entourée d’un certain nombre de garanties pour le salarié et lui ouvre droit, dans les conditions de droit commun, au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage. L’employeur et le salarié conviennent du principe d’une rupture conventionnelle lors d’un ouplusieurs entretiens. Le salarié peut se faire assister soit par une personne de son choixappartenant au personnel de l’entreprise, soit par un conseiller choisi sur une liste consultableauprès de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelleet dans chaque mairie. Si le salarié choisit se faire assister, il doit en informer l’employeur avant la date prévue pourle ou les entretiens. L’employeur peut alors lui-même se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise ou par une personne appartenant à son organisation syndicale d’employeurs ou par un autre employeur relevant de la même branche. L’employeur qui souhaite se faire assister doit également en informer le salarié, avantla date fixée pour le ou les entretiens. La liste des personnes susceptibles d’assister le salarié ou l’employeur est limitative. Que doit contenir la convention de rupture ? La convention de rupture élaborée entre l’employeur et le salarié définit les conditions de cetterupture, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui seraversée au salarié. Son montant ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité légale de licenciement prévue à l’article L.1234-2 du code du travail récemment modifié par le décret n°2008-715 du 18 juillet 2008 . Cette convention fixe également la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut interveniravant le lendemain du jour de l’homologation de la convention par l’autorité administrative. Sous cette réserve, les parties sont libres de fixer, à leur convenance, la date de la fin ducontrat de travail. La rétractation est-elle possible ? Afin d’éviter les décisions hâtives et pour permettre une éventuellement rétractation, laloi impose un délai minimum de 15 jours entre la signature de la convention et sa transmission à l’autorité administrative pour homologation. Pendant ce délai, chaque partie peut revenir sur sa décision. A compter de la date de signature de la convention par l’employeur et le salarié, les partiesdisposent d’un délai de 15 jours calendaires pour exercer ce droit de rétractation, qui peut êtreexercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception parl’autre partie. La loi n’impose pas à la partie qui décide de se rétracter de motiver sa décision. Qu’est- ce que l’homologation de la convention ? A l’issue du délai de rétractation de 15 jours, la partie la plus diligente adresse une demanded’homologation, avec un exemplaire de la convention de rupture, à l’autorité administrativecompétente, le directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP). Cette demande doit être formulée au moyen du formulaire réglementaire dont le modèle a étéfixé par l’arrêté du 18 juillet 2008. (Cf formulaire téléchargeable sur le site Internet du ministère du travail http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/FormulaireCasGeneral.pdf) L’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de 15 jours ouvrables (dimanches etjours fériés chômés exclus), à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect de la liberté de consentement des parties et des conditions prévues par le code du travail : respect des règles relatives à l’assistance des parties, au droit de rétractation, au montant minimal de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle… A défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise. Si l’homologation est refusée dans le délai de 15 jours ouvrables mentionné ci-dessus, les parties restent liées par le contrat de travail, qui doit continuer de s’exécuter dans les conditions habituelles. L’une ou l’autre des parties peut former un recours contre ce refus d’homologation. Un recours juridictionnel contre la rupture conventionnelle est-il possible ? Le conseil de prud’hommes est seul compétent pour connaître des litiges concernant laconvention, l’homologation ou le refus d’homologation avant l’expiration d’un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention. La rupture conventionnelle peut-elle intervenir dans un un contexte « conflictuel » avec l’employeur ?Rien ne l’interdit légalement. Toutefois, conclure une rupture conventionnelle dans un tel contexte donnerait en pratique un argument au salarié pour contester cette rupture sur le fondement d’un vice du consentement.Aussi, la rupture conventionnelle doit donc être réservée aux ruptures qui ne sont imputables ni à l’une, ni à l’autre partie et doit rester par essence à l’initiative du salarié. La question de la possibilité de la conclusion d’une telle rupture avec un salarié faisant l’objet d’une procédure de licenciement se pose également. Si légalement les parties demeurent à tout moment maîtresses de leur relation de travail et peuvent donc convenir d’y mettre fin de manière amiable, une telle initiative en cours de procédure de licenciement apparaît contraire à l’esprit de la loi qui pose le principe d’une rupture conventionnelle exclusive du licenciement ou de la démission. En effet, si une telle procédure débouchait finalement sur une rupture conventionnelle, le salarié pourrait ultérieurement invoquer devant le Conseil de Prud’hommes remettre en cause la liberté de son consentement. Le juge saisi d’une telle contestation pourrait alors requalifier la rupture conventionnelle en un licenciement dépourvu de cause réel et sérieuse, s’il considère qu’en réalité c’est sous la pression de l’employeur, que le salarié a été contraint de signer une rupture conventionnelle pour lui éviter de mener une procédure de licenciement jusqu’à son terme et sécuriser cette rupture.La jurisprudence risque de se montrer soucieuse de ce que le caractère « amiable » ne puisse être entravé par un employeur qui voulant sécuriser la rupture du contrat de travail de son salarié lui imposerait dans les faits cette rupture.Aussi et si le mécanisme de la rupture conventionnelle a été prévu pour « sécuriser » la rupture amiable du contrat de travail en évitant le recours à la justice, il semble, à ce jour que ce dispositif ne puisse en aucun cas être utiliser pour contourner une procédure de licenciement classique.Quelles sont les indemnités dues au salarié ? Lors de rupture conventionnelle de son contrat de travail, le salarié doit percevoir uneindemnité spécifique de rupture conventionnelle dont le montant ne peut, au minimum, être inférieur au montant de l’indemnité légale de licenciement. Le montant de l’indemnité doit figurer en toutes lettres dans la convention conclue avec l’employeur. Cette indemnité est exonérée de cotisations de sécurité sociale et d’impôt sur le revenu dansles mêmes limites que l’indemnité de licenciement. Le salarié aura droit à l’indemnité compensatrice de congés payés, ainsi qu’à l’ensemble deséléments de rémunération dus par l’employeur à la date de la rupture du contrat de travail. L’employeur devra remettre au salarié un certificat de travail, une copie de l’attestation
ASSEDIC ainsi qu’un solde de tout compte dont il demandera au salarié de lui donner reçu.
Maître JALAIN
Avocat en droit du travail
Barreau de Bordeaux
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