L’abus du contrat d’interim, requalification en CDI et sanctions financières de l’entreprise

Le travail temporaire se caractérise par l’établissement d’une relation triangulaire entre l’entrepreneur de travail temporaire (ETT), le salarié en mission et l’entreprise utilisatrice. Elle prend sa source dans la conclusion de deux contrats :

  • un contrat de mise à disposition (contrat commercial) conclu entre l’entreprise utilisatrice et l’ETT ;
  • un contrat de travail temporaire/de mission (contrat de travail) conclu entre l’ETT et le travailleur intérimaire qu’elle embauche.

Les principales caractéristiques du contrat de travail temporaire sont les suivantes :

On ne peut y recourir que dans des cas limitativement énumérés par la loi dont les plus courants sont le remplacement d’un salarié absent et l’accroissement temporaire d’activité ;

Ces contrats ont une durée maximale qui est fonction de la nature du motif de recours. Cette durée peut être fixée par un accord de branche étendu applicable à l’entreprise utilisatrice. A défaut, ce sont les règles légales -supplétives, donc- qui s’appliquent.

Comme en matière de CDD, le non-respect de la législation applicable au travail temporaire entraîne un risque de requalification du contrat de mission en CDI.

L’existence d’une relation triangulaire crée cependant des spécificités en termes de responsabilité. Autrement dit, tant l’entreprise de travail temporaire que l’entreprise utilisatrice peuvent supporter les conséquences de la requalification en CDI. (C. trav., art. L. 1251-40 ; C. trav., art. L. 1251-41)

  • Dans quels cas la requalification est-elle encourue à l’encontre de l’entreprise utilisatrice ?

Le Code du travail définit précisément les cas dans lesquelles le salarié peut demander la requalification à l’encontre de l’entreprise utilisatrice (C. trav., art. L. 1251-40) :

le contrat de mission permet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;

-les motifs de recours visés aux articles L. 1251-6 et L. 1251-7 du Code du travail ne sont pas respectés

-les interdictions de recours au travail temporaire ne sont pas respectées ;

-les dispositions de l’accord de branche étendu ou, à défaut, les dispositions légales supplétives relatives à la durée du contrat de mission, à son terme et à son renouvellement ne sont pas respectées.

Cette liste est restrictive.

Ainsi, contrairement au CDD, le non-respect du délai de carence entre deux contrats de mission ne permet pas d’agir en requalification à l’encontre de l’entreprise utilisatrice (Cass. soc., 17 mars 2010, no 08-70.057).

En revanche, l’intérimaire est en droit d’agir à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire (Cass. soc., 12 juin 2014, no 13-16.362 ; voir ci-après).

  • Dans quels cas la requalification est-elle encourue par l’entreprise de travail temporaire ?

Les dispositions de l’article L. 1251-40 du Code du travail n’envisagent pas la possibilité pour l’intérimaire d’agir à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire en requalification de son contrat de travail en CDI.

La Cour de cassation admet toutefois cette possibilité lorsque les conditions, à défaut desquelles toute opération de prêt de main-d’œuvre est interdite, n’ont pas été respectées.

(Cass. soc., 13 avr. 2005, no 03-41.967).

L’intérimaire peut ainsi agir en requalification à l’encontre de l’entreprise de travail temporaire :

  • lorsque le contrat de mission n’a pas été établi par écrit
  • lorsque l’entreprise de travail temporaire n’a pas respecté le délai de carence entre plusieurs missions au sein de la même entreprise utilisatrice et sur le même poste;
  • lorsque le contrat ne mentionne pas le terme de la mission
  • lorsque le contrat de mission ne mentionne pas la qualification du salarié

Plus généralement, l’intérimaire peut agir en requalification contre l’entreprise de travail temporaire en cas d’absence de l’une des mentions prescrites par l’article L. 1251-16 du Code du travail (Cass. soc., 11 mars 2015, no 12-27.855).

L’intérimaire ne peut en revanche obtenir de l’entreprise de travail temporaire le paiement de l’indemnité de requalification ( Cass. soc., 6 mai 2015, no 13-26.539).

  • La stabilité et le caractère durable prohibés en cas de recours au contrat de mission

L’article L. 1251-5 du Code du travail précise que « le contrat de mission quel que soit son motif ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice ».

Un tel accroissement temporaire de l’activité est défini comme étant l’augmentation temporaire de l’activité habituelle de l’entreprise. (CÎRC : DRT n°18, 30/10/1990 BO TRAVAIL 1990 n°24).

Cet accroissement doit donc porter sur le secteur d’activité habituel de l’entreprise mais ne pas entrer dans son rythme normal et permanent.

Le surcroît temporaire d’activité doit être défini comme une augmentation temporaire de l’activité de l’entreprise.

Ainsi, l’entreprise identifie une activité pérenne, constante tout au long de l’année et ponctuellement, cette activité connaît des pics.

Lorsque ces pics apparaissent, ils constituent un surcroît temporaire d’activité justifiant le recours aux contrats de mission.

Il en résulte qu’un utilisateur ne peut faire appel aux salariés des entreprises de travail temporaire que pour des tâches non durables dénommées missions. (Chambre Sociale, Cour de Cassation, 15 mars 2006, n°04-48548, Chambre Sociale, Cour de cassation, 10 mai 2006, n°04-47072).

Il en résulte que doivent être requalifiés en contrat à durée indéterminée les contrats de mission s’inscrivant dans un accroissement durable et constant de l’activité, de tels contrats ayant pour effet de pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise. (Chambre sociale, cour de cassation, 21 janvier 2004, RJS 03 /04, n°352)

Il a été jugé qu’occupe durablement un emploi de fin de semaine lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, le salarié mis à la disposition d’une société et constamment affecté au même poste. (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 18 octobre 2007, n°06-41479)

« En cas d’accroissement temporaire d’activité, le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ».

(Cass., Soc., 23 février 2005, n°02-40336 ; Cass. Soc., 13 avril 2005, n°02-45409)

– L’aléa ou l’imprévisibilité, critères essentiel

Ces pics de production doivent être soumis à un aléa ou à une imprévisibilité.

Tel n’est pas le cas, par exemple, du musée, qui organise chaque année, des expositions temporaires entre septembre et janvier, puis entre mars et juin.

L’existence d’un aléa n’étant pas caractérisée, il n’est pas possible de se prévaloir d’un surcroît temporaire d’activité si bien que la relation de travail doit être requalifiée en contrat à durée indéterminée (Cass. soc., 10 déc. 2008, no 06-46.349).

La charge de la preuve incombe à l’employeur

Il revient à l’employeur de rapporter la preuve de la corrélation entre son volume d’activité et celui des emplois temporaires.

A défaut, les contrats doivent être requalifiés en contrat indéterminée. (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 15 mars 2006, n°04-48548)

Le surcroît temporaire d’activité s’apprécie lors de la conclusion du contrat de mission. Peu importe qu’ensuite, ce surcroît d’activité soit devenu permanent (Cass. soc., 16 nov. 2004, no 02-47.459).

  • La reconnaissance du délit de prêt de main-d’œuvre illicite

Lorsque les salariés intérimaires occupent en réalité des emplois permanents dans l’Entreprise Utilisatrice et que l’Entreprise de Travail Temporaire et l’Entreprise Utilisatrice ont agi en connaissance de cause, il existe un important risque que le délit de prêt de main-d’œuvre illicite soit constitué (Cass. crim. 13 novembre 2012, n°10-80862)

Ce délit est susceptible d’entraîner des condamnations sur le plan pénal, non seulement au niveau financier mais aussi en termes de peine d’emprisonnement.

  • Une condamnation en cas de non-respect de l’obligation de sécurité

Les salariés temporaires, notamment en cas d’accident du travail, peuvent rechercher en justice la responsabilité conjointe des deux entreprises.

En cas d’accident de travail, doivent être informées dans les 24 heures:

  • L’entreprise de travail temporaire, par lettre recommandée avec accusé de réception.
  • la CARSAT, Caisse d’assurance de retraite et de santé au travail,
  • l‘inspection du travail.

Le travailleur intérimaire perçoit des indemnités journalières, IJ, s’il remplit les conditions vis à vis de la Sécurité sociale.

Les Indemnités Journalieres sont calculées sur la base de la rémunération des 12 derniers mois de date à date, précédant l’arrêt de travail. Le salarié bénéficie du régime complémentaire (prévu par l’accord du 23/01/2002 étendu).
L‘entreprise utilisatrice doit établir la liste des postes de travail pour lesquels il existe des risques particuliers pour la santé et la sécurité: l’avis du médecin du travail et du CHSCT doivent être demandés.
Pour ces postes de travail , pour lesquels il existe des risques particuliers pour la santé et la sécurité, une formation renforcée à la sécurité doit être mise en place pour les travailleurs intérimaires.

En effet, tout chef d’établissement est tenu d’organiser une formation pratique et appropriée à la sécurité au travail au sein de l’établissement, pour les salariés mis à sa disposition, en fonction :

-de la nature de l’activité,

-du caractère des risques constatés,

-des emplois occupés.

Il faut rappeler que l’Entreprise de Travail Temporaire a une obligation générale d’assurer la sécurité de ses salariés, et de protéger leur santé physique et mentale, tandis que l’Entreprise Utilisatrice a une obligation en matière de conditions de travail (durée du travail, travail de nuit, repos hebdomadaire…), de médecine du travail (surveillance particulière afférente aux travaux comportant des exigences ou des risques spéciaux) ou encore d’équipements des protections individuelles.
En cas de manquement à l’obligation de sécurité, qui est une obligation de résultat et non pas seulement de moyens, dont les entreprises doivent assurer l’effectivité, chacune au regard des obligations que les textes mettent à sa charge en matière de prévention des risques, elles s’exposent à être condamnées solidairement à payer au salarié des dommages et intérêts.

Par conséquent, en ayant recours au travail temporaire, les Entreprises de Travail Temporaire et les Entreprises Utilisatrices s’exposent à des risques de condamnation que ces dernières ne doivent pas négliger. Elles doivent, dès lors, être vigilantes et respecter leurs obligations pendant toute la durée de la relation contractuelle.

 

 

  • Quelle procédure le salarié doit-il suivre ?

La procédure à suivre est la même qu’en matière de CDD (C. trav., art. L. 1251-41 ; voir no 110-125).

Dans la mesure où la responsabilité tant de l’entreprise utilisatrice que de l’entreprise de travail temporaire peut être reconnue, le salarié peut avoir intérêt à attraire les deux sociétés devant le conseil de prud’hommes, afin de demander leur condamnation solidaire.

La jurisprudence reconnaît en effet ce principe de condamnation solidaire de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice dès lors qu’il est démontré que l’une et l’autre ont chacune manqué à leurs obligations telles que définies par le Code du travail en matière de travail temporaire, ou qu’elles ont agi de concert pour contourner l’interdiction de recourir au travail temporaire pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice Cass. soc., 24 avr. 2013, no 12-11.793).

  • Quelles sont les conséquences de la requalification ?

Les conséquences de la requalification sont les mêmes qu’en matière de CDD (voir no 110-125) :

Versement d’une indemnité de requalification par l’entreprise utilisatrice, qui ne peut être inférieure à un mois de salaire (C. trav., art. L. 1251-41).

Le fait que la relation contractuelle se soit poursuivie après l’échéance du contrat de mission ou que ce contrat ait été suivi d’une embauche en CDI ne prive pas le salarié du droit de demander la requalification du contrat de mission en CDI, ni du versement de l’indemnité de requalification.

Toutefois, si l’intérimaire agit en requalification à l’encontre l’entreprise de travail temporaire, il ne peut obtenir de celle-ci le paiement de l’indemnité de requalification.

Versement d’un rappel de salaire au titre des périodes séparant les différents CDD irréguliers, dès lors que le salarié établit qu’il s’est tenu à la disposition de son employeur pendant les périodes interstitielles (Cass. soc., 4 nov. 2016, no 15-25.292) ;

En cas de rupture des relations contractuelle, requalification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le salarié ne peut en revanche demander, sur le fondement du droit à l’emploi, la poursuite du contrat de travail qui a déjà pris fin.

La requalification de missions d’intérim en CDI ne porte que sur le terme du contrat de travail. Elle laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail. Ainsi, en cas de requalification de contrats de mission à temps partiel en CDI, ce dernier sera lui-même à temps partiel (Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-41.741 ; Cass. soc., 9 oct. 2013, no 12-17.882).

 

  • Quel point de départ de la prescription et la succession de contrats précaires ?

Les délais de prescription ont été modifiés par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi a considérablement réduit certains délais de prescription.

En cas de demande de requalification d’une série de contrats de travail temporaire en un contrat à durée indéterminée, la Cour de cassation a précisé que le délai de prescription applicable ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission.

Ainsi, lorsque le dernier des contrats de mission qui engage son action après le 23 juin 2016, aura ans le salarié pour saisir le conseil de prud’hommes (prescription biennale alors en vigueur depuis la reforme).

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Tableau récapitulatif des durées légales maximales de missions

Motifs de recours Durées maximales (en nombre de mois)
Contrat à terme précis

(de date à date)

Contrat à terme imprécis
Remplacement d’un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu 18 Fin de l’absence
Remplacement d’une des personnes visées aux 4o et 5o de l’article L. 1251-6 du Code du travail (chef d’entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, profession libérale, chef d’exploitation agricole, aide familial…) 18 (au moins 6 mois) Fin de l’absence
Attente de l’entrée en service d’un salarié sous contrat à durée indéterminée 9 9