La recevabilité de la preuve des heures supplémentaires par le salarié
La recevabilité de la preuve des heures supplémentaires par le salarié
Selon l’article 9 du Code de procédure civile :
« il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
Cette règle impose en principe que la charge de la preuve pèse sur le demandeur.
Cependant, dans le cadre du contentieux des heures supplémentaires, la charge de la preuve est partagée entre l’employeur et le salarié comme en dispose l’article. L. 3171-4 du Code du travail :
« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
En pratique, la Cour de cassation précise que si la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties, il appartient en revanche au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.
Dès lors que le salarié produit des éléments suffisamment précis, l’employeur est tenu d’y répondre et de fournir ses propres éléments de preuve.
Par ailleurs, l’employeur est soumis à des obligations légales et conventionnelles dans le cadre des heures supplémentaires et notamment à la nécessité de comptabiliser et de justifier les horaires de travail effectuées par le salarié.
Ces obligations sont visées aux article L. 3171-1 à L 3171-3 du Code du travail.
De ce fait, pour mesurer le temps de travail du salarié, l’employeur dispose d’outils spécifiques parfois imposés par la convention collective.
Même si celui-ci peut relever l’inexactitude et les discordances des preuves du salarié, il se heurte néanmoins à au moins deux obstacles jurisprudentiels.
– Le silence du salarié durant l’exécution du contrat de travail ne vaut pas renonciation à ses droits (Cass. soc., 11 juill. 2012, no 11-15.540) (Cass. soc., 11 juill. 2012, no 11-17.827)
– L’utilisation des courriels personnels du salarié comme preuve des heures de travail effectuées est inopérant (Cass. soc., 26 juin 2012, no 11-15.310)
Qu’est-ce que peut fournir le salarié comme moyen de preuve ?
Sont notamment considérées comme probantes par les juges les preuves suivantes :
- « les relevés d’activité et de temps de travail hebdomadaires sur lesquels (le salarié) a mentionné le nombre d’heures effectuées quotidiennement selon lui… le salarié avait produit un décompte des heures qu’il prétendait avoir réalisées auquel l’employeur pouvait répondre » (Cass. soc., 19 sept. 2012, no 11-23.488) ;
- « un tableau des heures travaillées entre le 1er janvier 2004 et le 31 mai 2005 auquel l’employeur pouvait répondre » (Cass. soc., 11 juill. 2012, no 10-28.358) ;
- « plusieurs attestations ainsi qu’un tableau établi par le salarié » (Cass. soc., 23 mai 2012, no 11-17.360) ;
- « un relevé d’itinéraires et des attestations auxquels l’employeur pouvait répondre » (Cass. soc., 16 mai 2012, no 11-14.268) ;
- « un décompte des heures établi par le salarié » sous la forme « d’un récapitulatif de son temps de travail journalier » (Cass. soc., 7 déc. 2011, no 10-14.156) ou « d’un tableau dactylographié récapitulant jour après jour des horaires de début et de fin de travail » (Cass. soc., 13 déc. 2011, no 10-21.855) ;
Très récemment la Haute Juridiction a rappelé une nouvelle fois le régime d’administration de la preuve de la durée du travail accomplie en mentionnant que la charge de la preuve ne pèse pas uniquement sur le salarié. (Cour de cassation, Chambre sociale, 1 juin 2022, 20-17.360)
Dans cet arrêt la Cour rappelle une nouvelle fois le régime d’administration de la preuve de la durée du travail accomplie.
Elle casse un arrêt d’appel qui avait débouté un salarié d’une demande salariale au titre d’heures supplémentaires, ne relevant que celui-ci présentant des éléments suffisamment précis pour que l’employeur puisse y répondre (décomptes), alors que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, ainsi qu’il y était tenu en application de l’article L. 3171-2 du code du travail.
La Cour d’appel avait débouté un salarié de sa demande aux motifs que ce dernier :
« le salarié avait versé aux débats des éléments qui ne permettaient pas d’étayer suffisamment sa demande d’heures supplémentaires (…) que ce dernier produisait un décompte mentionnant la durée quotidienne des journées de travail et les temps de transport pour rejoindre les différents lieux de mission et pour retourner à son domicile ainsi que les justificatifs de transport et, d’autre part qu’il récapitulait sous forme de tableaux, dans ses conclusions, sa durée hebdomadaire de travail »
La Cour de cassation a quant a elle décidé de casser l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L 3171-4 du code du travail et aux motifs que :
« 15. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l’arrêt retient que le salarié communique un décompte des heures supplémentaires qu’il prétend avoir accomplies, depuis son embauche en janvier 2011 et jusqu’au mois de juin 2013, mais que ce décompte ne déduit pas les temps de trajet habituels pour se rendre à son travail, ne fournit aucun élément sur ses heures d’arrivée et de départ sur les lieux de mission indiqués ou encore sur ses temps de pause.
- L’arrêt retient encore que le calcul est réalisé à partir de l’estimation d’un temps de travail quotidien pour une journée type multipliée par le nombre de jours concernés par le déplacement considéré, que les chiffres figurant sur les décomptes ne correspondent pas toujours aux tableaux figurant dans ses conclusions et que ces décomptes reprennent systématiquement, pour chaque jour de mission, le même temps de transport, sans justifier de la réalité des déplacements, en dehors de ceux effectués en début et en fin de mission pour lesquels les titres de transport sont produits.
- L’arrêt retient enfin que de tels relevés, établis unilatéralement par le salarié, sans aucun élément objectif permettant d’en contrôler la réalité, ne sont pas suffisamment précis pour que l’employeur puisse y répondre et ne permettent pas la reconstitution des horaires effectivement réalisés pour le compte de l’entreprise de sorte que la demande n’est pas autrement étayée que par les propres allégations du salarié.
- En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.»
Ainsi, poursuivant dans sa logique la Cour de cassation estime que même un décompte unilatéral et réalisé par le salarié lui même est recevable et va prévaloir dans la décision de reconnaissance des heures supplémentaires lorsque l’employeur lui n’a aucun élément à faire valoir en contradiction.
Attention, il existe également une jurisprudence plus stricte rejetant les demandes de rappel d’heures supplémentaires notamment lorsque les preuves sont imprécises :
« Ne peut être considéré comme probant le fait que le salarié produisait seulement un décompte récapitulatif établi mois par mois du nombre d’heures qu’il affirmait avoir réalisé et un tableau peu compréhensible « ne laissant pas apparaître pour chaque jour précis de chaque semaine précise les horaires de travail accomplis, la cour d’appel, qui a fait ressortir que ces éléments n’étaient pas suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments, a estimé que la demande n’était pas étayée » (Cass. soc., 27 juin 2012, no 11-10.123).