Harcèlement moral ou sexuel : quels sont les droits du salarié visé par une enquête de l’employeur ?
Harcèlement moral ou sexuel : quels sont les droits du salarié visé par une enquête de l’employeur ?
Alors que l’employeur doit prendre en compte toute allégation de harcèlement, la question des droits des salariés mis en cause par une accusation d’un collègue de travail reste peu prise en compte par la jurisprudence.
Ces enquêtes commencent aussi à être pointées du doigt par les avocats de salariés licenciés pour harcèlement, dans certains cas, sur de simples allégations.
Ainsi, les avocats voient arriver de nombreux dossiers de manageurs quinquagénaires, ayant une forte ancienneté, accusés parfois à tort de harcèlement dans le but de les écarter de grandes entreprises pour des motifs de faute grave, permettant ainsi à l’employeur d’éviter de couteuses indemnités alors qu’il souhaiterait s’en séparer.
-
L’obligation de santé et de sécurité pesant sur l’employeur
En vertu des articles L1152-4 et L1153-5 du code du travail, l’employeur prend toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements pouvant être qualifiés de harcèlement moral ou sexuel.
L’employeur a en effet une obligation de santé et de sécurité envers ses salariés en vertu de laquelle il doit éclaircir les faits dénoncés afin d’y mettre un terme ou de prévenir de tels agissements.
Le code du travail ne définit cependant pas les mesures que doit prendre l’employeur, c’est donc la jurisprudence qui est venue encadrer l’action de l’employeur.
L’une des mesures les plus fréquemment mise en place par l’employeur est l’enquête interne permettant de prendre connaissance de la réalité des faits pour pouvoir ensuite les qualifier juridiquement.
Dans un premier temps, la Cour de cassation imposait à l’employeur de procéder à une enquête chaque fois que le salarié se plaignait de harcèlement (Cass, soc, 27 novembre 2019, 18-10.551).
Dans un second temps, par un arrêt du 12 juin 2024, la Cour de cassation a jugé que l’employeur n’a plus d’obligation de diligenter une enquête mais doit seulement répondre à la dénonciation de harcèlement pour ne pas faire défaut à son obligation de santé et de sécurité vis-à-vis des salariés (Cass, soc, 12 juin 2024, 23-13.975).
Bien que la mise en place d’une enquête ne soit plus obligatoire, les faits de harcèlement sont de plus en plus fréquents et dénoncés et les enquêtes internes mises en place par les employeurs se multiplient.
Lors de l’enquête, des auditions et témoignages sont effectués permettant, à l’issue de l’enquête, de prendre des mesures internes à l’entreprise pour prévenir et faire cesser les situations de harcèlement, mais aussi des sanctions contre le salarié mis en cause pouvant aller jusqu’à son licenciement pour faute grave.
En dépit du risque disciplinaire encouru par le salarié visé par une dénonciation de harcèlement, ni le principe contradictoire, ni le principe de neutralité ne lui sont garantis par conséquent il se retrouve peu protégé.
-
Des droits de la défense très précaires pour le salarié mis en cause
Comme nous l’avons vu précédemment, l’enquête interne pour harcèlement n’est pas règlementée.
De ce fait, l’employeur l’organise librement ce qui peut engendrer la mise en place d’une procédure arbitraire.
En effet, le salarié accusé voit ses droits à la défense non garantis :
- Il peut demander à être assisté par un avocat mais la décision relève de la seule discrétion de l’employeur donc ce droit à assistance n’est pas garanti ;
- Il peut demander des auditions de témoins mais de la même manière la décision relève in fine de la seule discrétion de l’employeur donc ce droit n’est pas garanti.
- Il n’a pas droit à l’assistance d’un delégué du personnel ou d’un conseiller extérieur alors qu’on lui reproche des faits pouvant conduire à son licenciement
Le salarié mis en cause pour des faits graves est donc moins bien protégé que dans le cadre d’une procédure disciplinaire au cours de laquelle son droit à l’assistance d’un conseiller.
Toutefois à tout le moins l’employeur s’il réalise lui même l’enquête doit prévoir la présence d’un membre du CSE pour garantir à minima les droits du salarié lors de son audition.
-
Le droit du contradictoire dans le cadre de l’enquête
Par un arrêt du 4 juin 2021, la Cour de cassation a jugé qu’un salarié visé par une plainte de harcèlement n’a ni à être averti ni à être entendu lors du déroulement de l’enquête interne.
S’agissant des faits, un employeur avait été alerté par des représentants du personnel de faits de harcèlement moral commis par une salariée et avait diligenté une enquête externe.
Le rapport d’enquête mettait en évidence des insultes racistes et à caractère discriminatoire et sur la base de ce rapport l’employeur avait licencié la salariée pour faute grave.
La salariée avait alors contesté son licenciement en estimant que le rapport d’enquête était irrecevable dans la mesure où elle n’avait pas été informée de la mise en place de l’enquête et n’avait pas pu d’apporter d’éléments contradictoires.
La Cour d’appel a fait droit à la demande de la salarié en se fondant sur l’article L1222-4 du code du travail qui dispose que « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance » pour considérer le rapport d’enquête comme un mode de preuve illicite et déclarer le licenciement injustifié.
La Cour d’appel de Rennes avait d’écarter le rapport d’enquête interne comme élément de preuve pour les motifs suivants :
- Le rapport ne précisait pas la durée de l’interrogatoire du directeur ;
- Les deux salariées plaignantes n’avaient pas été auditionnées séparément ;
- Tous les salariés témoins des faits n’avaient pas été entendus (seulement 8 sur 20 sans explication sur le choix des personnes entendues);
- Le compte rendu n’était pas signé ;
- Le CSE n’avait pas été informé et saisi du dossier, seul le service des ressources humaines avait mené l’enquête.
La Cour d’appel avait conclu au caractère déloyal à l’enquête interne.
Cet arrêt d’appel donne donc tout de même les grands principes à suivre pour l’employeur s’il veut conduire son enquête de façon loyale.
Dans son arrêt la Cour de cassation infirme toutefois l’arrêt de la Cour d’appel en indiquant que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ainsi que l’interdiction pour l’employeur de mettre en place des dispositifs clandestins de contrôle de l’activité des salariés mais considère toutefois que l’enquête effectuée des suites d’une dénonciation de harcèlement n’est pas soumise à au principe de loyauté dans la reception de la preuve de l’article L1222-4 du code du travail.
« Réponse de la Cour
(…)
- Pour écarter le compte-rendu de l’enquête confiée par l’employeur à un organisme extérieur sur les faits reprochés à la salariée, la cour d’appel a retenu que celle-ci n’avait ni été informée de la mise en œuvre de cette enquête ni entendue dans le cadre de celle-ci, de sorte que le moyen de preuve invoqué se heurtait à l’obligation de loyauté et était illicite.7. En statuant ainsi, alors qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié, la cour d’appel a violé par fausse application le texte et le principe susvisés. »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 mars 2021, 18-25.597
Ainsi, la Cour de cassation considère que l’employeur peut diligenter une enquête sur le salarié auteur présumé du harcèlement sans l’en informer et sans qu’il soit entendu.
-
Le droit d’accès au dossier
La jurisprudence adopte donc une approche très peu contraignates des modalités auxquelles l’enquête interne doit répondre.
A ce titre, la Cour de cassation a jugé que le salarié mis en cause ne pouvait pas réclamer l’accès au dossier relatif à l’enquête mise en œuvre à son encontre, ce qui est ici encore contraire aux droits de la défense et au principe du contradictoire :
« Réponse de la cour
- Le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu’il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu’il soit entendu, dès lors que la décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement. »
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 juin 2022, 20-22.220
En effet, l’employeur se retranche souvent derrière la confidentialité de l’enquête pour opposer un refus d’accès au salarié alors que cette confidentialité n’est prévue par aucun texte.
Conclusion : Une liberté pour l’employeur dans l’enquête qui n’est pas sans contrôle du juge prud’homal
Au regard de la grande liberté laissée à l’employeur dans le déroulement de l’enquête relative à une dénonciation de harcèlement, les enquêtes sont souvent biaisées et menées à charge et les droits de la défense du salarié sont mis de côté.
Cependant, la liberté laissée à l’employeur comporte une limite : l’enquête doit être menée de manière sérieuse, loyale, contradictoire, impartiale et exhaustive.
En effet, dans un arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation a apporté des précisions sur les limites de la liberté de l’employeur quant au déroulé de l’enquête.
Dans cette affaire, un salarié a été licencié pour faute grave pour des faits de harcèlement sexuel et moral, contestés par deux salariées.
Le salarié a contesté son licenciement au motif que l’enquête interne était, selon lui, non respectueuse de ses droits.
La Cour d’appel retient également l’invalidité de l’enquête :
« Aussi, l’ensemble de ces éléments et notamment du caractère déloyal de l’enquête à charge réalisée par l’inspection générale, sans audition de l’ensemble des salariés témoins ou intéressés par les faits dénoncés par Mmes [J] et [U], sans information ou saisine de CHSCT, ne permet pas d’établir la matérialité des faits dénoncés et de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ni d’un harcèlement moral. »
Cour d’appel de Rennes, 11 décembre 2020, 17-05.763
Ainsi, il revient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante de l’enquête tout en analysant les autres éléments de preuve fourni par les parties et de contrôler la loyauté de l’enquête.
Au cas d’espèce, aucune investigation illégale n’avait été commise et les autres éléments de preuve fournis permettaient de combler les lacunes du rapport d’enquête par conséquent la Cour de cassation a infirmé l’arrêt de la Cour d’appel (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 juin 2022, 21-11.437).
Enfin, il est toujours recommandé de faire appel au CSE pour mener ces enquêtes relatives au harcèlement afin de garantir le caractère loyal de l’enquête.
Des référents harcèlement peuvent également être désignés au sein du CSE.