Dans quel cas un salarié peut-il rompre son contrat aux torts de l’employeur ?

La résiliation judiciaire est un mode de rupture méconnu et donc une source d’appréhension pour les salariés et les employeurs. Demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail c’est ouvrir une procédure devant le conseil de prud’hommes afin d’obtenir la rupture du contrat en raison de manquements de l’employeur à ses obligations.

 

Mais comment le salarié doit-il s’y prendre ? Comment l’employeur doit-il réagir ?

 

En cas d’inexécution des obligations contractuelles, chacune des parties au contrat peut en demander judiciairement la résolution en vertu des dispositions de l’article 1184 du Code Civil.

 

En cas de manquement de l’employeur à ses obligations, tout salarié peut alors intenter une action en prise d’acte de rupture du contrat ou de résiliation judiciaire du contrat de travail devant le juge prud’homal et ainsi voir prononcer la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.

 

Cette faculté est consacrée expressément par un arrêt rendu le 16 mars 2005 par la Chambre sociale de la Cour de Cassation aux termes duquel « Le salarié ne peut être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement par ce dernier à ses obligations »

Quels sont les moyens d’action du salarié : Prise d’acte ou résiliation judiciaire ?

 

La rupture du contrat de travail peut être imputée à l’employeur soit à la suite d’une prise d’acte de la rupture du contrat par le salarié, soit en conséquence d’une demande de résiliation judiciaire du contrat formée par le salarié devant la juridiction prud’homale.

 

Dans ces deux hypothèses, le juge déclare la rupture imputable à l’employeur s’il estime que ce dernier a commis un manquement à ses obligations suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail à ses torts.

 

La rupture du contrat produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

l’employeur est condamné à verser au salarié une indemnité de licenciement (si le salarié bénéficiait d’une ancienneté suffisante), une indemnité de préavis et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit au minimum 6 mois de salaire pour un salarié ayant au moins 2 ans d’ancienneté employé dans une entreprise d’au moins 11 salariés – plafond applicable avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi à venir sur la barémisation des indemnités prud’homale.)

 

Si toutefois, le juge considère que les griefs invoqués par le salarié à l’encontre de son employeur ne sont pas établis ou qu’ils ne sont pas suffisamment graves, le juge prononce des solutions différentes selon que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail ou qu’il en a sollicité la résiliation judiciaire.

 

Dans le premier cas, le juge déclare que la prise d’acte produit les effets d’une démission;

 

Dans le second cas, il rejette la demande de résiliation judiciaire et l’exécution du contrat doit se poursuivre, sauf si l’employeur a, entre-temps, prononcé le licenciement du salarié.

 

Lorsque les parties étaient liées par un CDD, la rupture jugée imputable à l’employeur donne droit, pour le salarié, à une indemnité équivalente aux salaires qu’il aurait perçus jusqu’au terme du contrat.

 

  • Appréciation des manquements par le juge prud’homal

 

La rupture n’est imputable à l’employeur que s’il est établi qu’il a commis un grave manquement à ses obligations.

 

L’appréciation de la réalité et de la gravité de ce manquement est soumise à plusieurs règles :

 

en premier lieu, les juges doivent apprécier l’existence et la gravité des manquements de l’employeur en fonction des griefs invoqués par le salarié devant eux, sans être liés, le cas échéant, par les motifs mentionnés dans la lettre de prise d’acte. Ainsi, si le salarié fait état, à l’appui de sa prise d’acte, de faits imputés à l’employeur qui n’étaient pas mentionnés dans la lettre de prise d’acte, le juge doit néanmoins en tenir compte [Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-42.804] ;

 

en second lieu, les juges doivent apprécier si l’ensemble des griefs invoqués par le salarié à l’encontre de son employeur justifie d’imputer la rupture du contrat à ce dernier.

 

En effet, si chaque grief est, à lui seul, insuffisamment grave pour justifier la rupture du contrat, leur cumul peut, en revanche, donner au comportement de l’employeur une gravité suffisante pour lui imputer la rupture du contrat ;

 

L’appréciation de la gravité des manquements de l’employeur relève du pouvoir souverain des juges du fond [Cass. soc., 13 avr. 2005, n° 03-41.405].

 

  • Dans quels cas l’employeur manque-t-il gravement à ses obligations ?

 

Les juges estiment que l’employeur commet un manquement suffisamment grave pour lui imputer la rupture du contrat dans les hypothèses qui peuvent être :

  • Modification unilatérale du contrat de travail

Il a été jugé à plusieurs reprises que le fait d’imposer au salarié une modification d’un élément de son contrat de travail constitue un manquement suffisamment grave pour imputer à l’employeur la rupture du contrat. Il en va ainsi lorsque l’employeur :

 

– impose au salarié une modification de sa qualification et de sa rémunération contractuelles, en faisant varier sa rémunération, en allégeant ses responsabilités et en supprimant certaines de ses tâches essentielles, sans avoir obtenu l’accord de l’intéressé [Cass. soc., 9 janv. 2008, n° 06-45.230] ;

 

– après s’être engagé à reconnaître le statut de VRP à un salarié, lui dénie ce statut et le qualifie d’agent commercial [Cass. soc., 19 oct. 2007, n° 06-44.586] ;

 

– ne rémunère pas le salarié conformément aux stipulations contractuelles, ce qui constitue un manquement grave et répété à ses obligations [Cass. soc., 24 mai 2006, n° 04-43.859].

 

L’employeur ne commet un manquement à ses obligations que s’il modifie effectivement et unilatéralement un élément du contrat de travail. Ainsi en va-t-il, par exemple, si, après avoir pris acte du refus du salarié de modifier son contrat de travail, il ne renonce pas à son projet de modification [Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 06-42.360].

 

la modification du taux de commission d’un VRP (Cass. soc., 16 nov. 2011, no 10-13.439), la modification d’un plan de rémunération variable affectant le taux de commission (Cass. soc., 24 mars 2010, no 08-43.996) ;

 

la modification de la rémunération contractuelle (Cass. soc., 10 déc. 2014, no 13-23.392), même si celle-ci intervient du fait d’un changement d’affectation (Cass. soc., 13 juill. 2005, no 03.45-247 ; à comparer avec Cass. soc., 16 mars 2011, no 08-42.671, relatif à la suppression d’une prime non contractualisée) ;

 

la modification du secteur d’activité d’un VRP (Cass. soc., 11 janv. 2012, no 10-17.828) ;

 

la modification de fonctions (Cass. soc., 23 mai 2013, no 12-14.072 ; Cass. soc., 20 nov. 2013, no 12-25.958), dans le cadre de laquelle la qualification, les fonctions et les responsabilités du salarié doivent être impactées (a contrario, voir : Cass. soc., 3 juill. 2013, no 12-18.111 ; Cass. soc., 5 nov. 2014, no 13-18.209, s’agissant d’une modification de tâches correspondant à la qualification du salarié) ;

 

le retrait de la fonction d’encadrement (Cass. soc., 25 sept. 2013, no 12-17.605 ; Cass. soc., 4 nov. 2015, no 13-14.412) et plus généralement le retrait de responsabilités (Cass. soc., 31 oct. 2013, no 12-18.322 ; Cass. soc., 29 janv. 2014, no 12-19.479 P) ;

 

le passage même partiel à un horaire de nuit (Cass. soc., 14 janv. 2015, no 13-25.767) ;

 

le passage imposé d’un temps plein à un temps partiel (Cass. soc., 23 sept. 2014, no 13-18.004) ;

 

l’obligation faite au salarié d’exercer son activité et d’installer ses instruments de travail à son domicile (Cass. soc., 20 nov. 2014, no 13-20.387

  • Non-fourniture de la prestation de travail au salarié

 

L’employeur qui ne satisfait pas à son obligation de fournir du travail au salarié peut se voir imputer la rupture du contrat. [Cass. soc., 14 janv. 2004, n° 01-40.489].

 

Ainsi, viole ses obligations l’employeur qui affecte un salarié, directeur d’exploitation d’une usine, sur un poste sans autonomie ni responsabilités opérationnelles et managériales, et divulgue à l’ensemble des cadres les accusations qu’il fait peser sur lui [Cass. soc., 20 févr. 2008, n° 07-40.102].

  • Non-paiement du salaire ou de certains éléments de rémunération

 

L’employeur qui ne verse pas au salarié l’intégralité de la rémunération à laquelle il a droit commet un manquement à ses obligations. Mais un tel manquement n’est pas nécessairement d’une gravité suffisante pour lui imputer la rupture du contrat de travail.

 

Il a ainsi été jugé que l’employeur est responsable de la rupture du contrat de travail s’il :

 

– applique un mode de calcul de la rémunération qui n’est pas conforme au contrat de travail et ne rémunère pas les heures supplémentaires accomplies par un salarié [Cass. soc., 19 oct. 2007, n° 06-43.829] ;

 

– ne paie pas les congés payés et la prime de rendement dus au salarié et ce, pendant deux années [Cass. soc., 20 déc. 2006, n° 04-42.621] ;

 

– s’abstient, sans justificatif et malgré des réclamations persistantes, de payer au salarié l’intégralité de sa rémunération variable et de ses frais professionnels [Cass. soc., 25 avr. 2007, n° 05-44.903].

 

 

Mais, dans d’autres circonstances, les juges ont estimé que le non-paiement de certains éléments de rémunération ne justifiait pas d’imputer la rupture du contrat à l’employeur.

 

Par exemple :

– le seul manquement invoqué par le salarié provenait d’une erreur de calcul d’une majoration du taux horaire prévue par la convention collective [Cass. soc., 30 mai 2007, n° 06-41.240] ;

 

  • Harcèlement moral et violences physiques

 

L’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels liés au harcèlement moral [C. trav., art. L. 122-51 et L. 230-2 II ; recod. L. 1152-4 et L. 4121-2]. Sa responsabilité peut ainsi être engagée lorsqu’il n’a pas su prévenir ou mettre un terme aux situations de harcèlement moral dénoncées par un salarié.

 

Dans ce cas, le salarié victime du harcèlement de l’employeur ou de l’un de ses supérieurs hiérarchiques peut obtenir la rupture de son contrat aux torts de l’employeur [Cass. soc., 20 déc. 2006, n° 05-43.548 ;

 

De la même façon, l’employeur qui, ne pouvant ignorer le comportement autoritaire et dénigrant d’un nouveau chef hiérarchique, le laisse poursuivre ses agissements, peut se voir imputer la rupture du contrat de travail des salariés victimes de ces agissements [Cass. soc., 27 juin 2007, n° 05-45.527].

 

La « mise au placard » d’un salarié, qui constitue une forme de harcèlement moral, est ainsi fréquemment considérée comme une cause de rupture du contrat aux torts de l’employeur : l’employeur qui retire ses fonctions à un salarié, le met à l’écart sans bureau ni vestiaire, et persiste dans cette décision malgré les réclamations de l’intéressé, manque gravement à ses obligations [Cass. soc., 24 janv. 2007, n° 05-41.913].

 

 

Les violences physiques constituent, tout comme les violences morales, une cause de rupture du contrat aux torts de l’employeur [Cass. soc., 30 oct. 2007, n° 06-43.327].

 

  • Non-respect de la réglementation du travail

 

 

La violation de la réglementation du travail expose également l’employeur à se voir imputer la rupture du contrat du salarié qui en est victime. Ainsi en va-t-il en cas de non-respect des règles relatives à la durée du travail, par exemple en cas de violation du droit au repos hebdomadaire [Cass. soc., 7 oct. 2005, n° 01-44.635].

 

De la même façon, l’employeur qui méconnaît ses obligations liées aux arrêts de travail pour maladie du salarié peut être reconnu responsable de la rupture du contrat provoquée par le salarié.

 

Des juges ont ainsi accepté de résilier le contrat de travail d’un salarié au motif que son employeur avait manqué à son obligation de solliciter une visite médicale de reprise à l’issue d’un arrêt maladie [Cass. soc., 31 mai 2007, n° 06-41.143]. En revanche, le seul retard apporté dans l’organisation de la visite de reprise ne constitue pas, dans certaines circonstances, un manquement suffisamment grave de l’employeur pour lui imputer la rupture du contrat.

 

Par ailleurs, le salarié qui est déclaré inapte à son emploi peut prendre acte de la rupture de son contrat ou en demander la résiliation judiciaire si l’employeur, un mois après la déclaration d’inaptitude définitive, ne l’a ni licencié ni reclassé, et n’a pas repris le paiement des salaires comme il y est tenu Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-40.688].

  • Manquement à l’obligation de sécurité

 

Le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité justifie de lui imputer la rupture du contrat.

 

Ainsi, en ne tenant pas compte des recommandations du médecin du travail qui préconise de reclasser le salarié sur un autre poste de travail, l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat, ce qui justifie la rupture du contrat à ses torts [Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-46.134].

 

Le défaut d’organisation des visites médicales d’embauche ou de reprise a longtemps été considéré comme un manquement suffisamment grave, car constitutif d’une violation de l’obligation de sécurité de résultat (Cass. soc., 5 oct. 2010, no 09-41.642)

 

La Cour de cassation a cependant infléchi sa jurisprudence sur cette question, jugeant que l’absence de visites médicales ne suffit plus, à elle seule, à justifier une prise d’acte ou à fonder une action en résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, dès lors qu’elle n’a pas empêché la poursuite du contrat de travail.

 

S’il s’agit d’un manquement de l’employeur, il y a cependant lieu de démontrer que celui-ci est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

 

EN SAVOIR PLUS : www.avocat-jalain.fr