Quel contrôle par les juges des conventions de forfait jours ?
Le mécanisme du forfait jours permet de forfaitiser le temps de travail effectif d’un cadre en jours.
En pratique, le cadre au forfait jour n’a pas d’horaires minimum à respecter.
Il dispose en effet d’une autonomie d’organisation de son temps de travail dans le cadre du dispositif.
La mise en place du forfait jours se fait par un accord collectif.
Ensuite, le forfait doit faire l’objet d’un accord du salarié et d’une convention écrite, précisant les modalités d’application, notamment le nombre de jours de travail à effectuer et les temps de repos (les jours RTT).
Toutefois cette dérogation à la durée légale de travail mise en place pour les cadres leur permet de bénéficier d’une autonomie réelle.
Elle concerne donc les salariés dont la durée de travail dans l’entreprise ne peut pas être fixée en amont ni contrôlée.
Il s’agit généralement d’un salarié impliqué dans la gestion stratégique ou administrative de l’entreprise.
Du fait du non-décompte des horaires des cadres autonomes qui gèrent seul le temps de travail, les juges sont particulièrement attentifs aux garantis et contrôle que doit mettre en place l’employeur.
Ils doivent s’assurer que la mise en place de cette rémunération forfaitaire n’est pas préjudiciable à la santé du salarié et son équilibre personnel.
Cass. soc, le 5 juillet 2023 n° 21-23.222, Cass.soc. le 5 juillet 2023 n° 21-23.387.
Dans la ligne de nombreux précédents, la Cour de cassation s’est prononcé le 5 juillet 2023 sur la valeur de dispositifs conventionnels mettant en place un forfait à l’année en jours.
Dans deux arrêts de la Cour de cassation, chambre sociale n° 21-23.222 et n° 21-23.387 ont été jugées insuffisants, faute de suivi régulier, les régimes mis en place par des avenants à la convention collective nationale du secteur automobile et à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le secteur tertiaire.
Ces régimes ne garantissaient pas le respect de durées raisonnables de travail et de temps de repos, de l’amplitude de la charge de travail et une bonne répartition du travail dans le temps.
Cass. soc, le 5 juillet 2023 n° 21-23.222
Argumentation de la Cour
« Réponse de la Cour
Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :
6. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
7. Il résulte des articles susvisés de la directive de l’Union européenne que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
8. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
9. Pour débouter le salarié de sa demande tendant à ce qu’il soit jugé que la convention de forfait en jours était privée d’effet, l’arrêt retient que la convention collective du secteur de l’automobile prévoit un suivi effectif et régulier du salarié bénéficiant d’une convention de forfait en jours permettant d’assurer une durée raisonnable de son amplitude de travail et de préserver sa santé et sa sécurité.
10. En statuant ainsi, alors que les dispositions des articles 1.09 f et 4.06 de la convention collective du commerce et de la réparation de l’automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, étendue par arrêté du 30 octobre 1981, dans leur rédaction issue de l’avenant du 3 juillet 2014, qui se bornent à prévoir que la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié, que les entreprises sont tenues d’assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail, que compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales sera assuré au moyen d’un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet, que ce document de suivi du forfait fait apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés et rappelle la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables, que le salarié bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l’objectif est notamment de vérifier l’adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en oeuvre les actions correctives en cas d’inadéquation avérée, en ce qu’elles ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déboute M. [R] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l’arrêt rendu le 4 juin 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Bourges ; »
Dans le second arrêt de la Cour de cassation n° 21-23.387, le dispositif mis en place ne comportait pas un suivi effectif et régulier pouvant permettre à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail excessive.
Cass.soc. le 5 juillet 2023 n° 21-23.387
Argumentation de la Cour
« Réponse de la Cour
Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 212-15-3 du code du travail, alors en vigueur, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne :
10. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
11. Il résulte des articles susvisés de la directive de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
12. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
13. Pour dire la convention de forfait en jours opposable au salarié et débouter ce dernier de ses demandes en paiement d’heures supplémentaires, de contrepartie en repos et de dommages-intérêts pour violation des durées maximales de travail et non-respect du droit au repos, l’arrêt retient qu’il n’est pas utilement contesté que la convention collective applicable prévoit notamment un rappel du repos quotidien de onze heures consécutives, un rappel du temps de repos hebdomadaire égal à trente-cinq heures consécutives, un contrôle du nombre de jours travaillés, l’établissement d’un document récapitulatif par le salarié des jours de repos, la mise en place d’un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoqués l’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et la charge de travail en résultant, ainsi que l’obligation de respecter un équilibre satisfaisant entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Il conclut que l’ensemble de ces dispositions, contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, est conforme aux exigences jurisprudentielles et légales.
14. En statuant ainsi, alors que l’article 2.8.3. de l’accord du 11 avril 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail, attaché à la convention collective nationale du personnel des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999, qui se borne à prévoir que l’employeur est tenu de mettre en place des modalités de contrôle du nombre des journées ou demi-journées travaillées par l’établissement d’un document récapitulatif faisant en outre apparaître la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de réduction du temps de travail, ce document pouvant être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur, et que les cadres concernés par un forfait jours bénéficient chaque année d’un entretien avec leur supérieur hiérarchique, au cours duquel il sera évoqué l’organisation du travail, l’amplitude des journées d’activité et de la charge de travail en résultant, sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’est pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif déboutant le salarié de ses demandes tendant à la fixation de sa créance au titre des dommages-intérêts pour modification unilatérale du contrat de travail et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail, disant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, limitant la créance du salarié à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d’indemnité de préavis, outre congés payés afférents, ordonnant la remise de documents de fin de contrat conformes et fixant la créance de remboursement des indemnités de chômage, qui s’y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
MISE HORS DE CAUSE
16. En application de l’article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Astriam régions, dont la présence n’est pas nécessaire devant la cour d’appel de renvoi, le pourvoi principal ne formulant aucune critique contre le chef de l’arrêt l’ayant mise hors de cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ; »
Un troisième arrêt de la Cour de cassation, chambre civile n° 21- 23.294 FS-B en date du 5 juillet 2023 a au contraire reconnu la validité d’un régime forfaitaire prévu par la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006.
Cette convention a été modifiée en 2012 et a imposé un suivi régulier par la hiérarchie de la charge de travail et des temps de repos, favorisant la prise de tous les jours de repos.
Cass.soc. 5 juillet 2023 n° 21-23.294
Argumentation de la Cour
« Réponse de la Cour
Vu l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et l’article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa rédaction issue de l’avenant n° 3 du 11 décembre 2012 :
4. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
5. Il résulte des articles susvisés de la directive de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
6. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
7. Pour dire nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours signée par le salarié, l’arrêt relève que l’article 4.2.9 de la convention collective nationale susvisée prévoit que « la situation de l’ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d’un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail de l’ETAM et l’amplitude de ses journées d’activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié… Les ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait-jours bénéficient d’un temps de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives et d’un temps de repos hebdomadaire de 35 heures consécutives… L’employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d’augmenter ce temps de repos minimum. La charge de travail et l’amplitude des journées d’activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps de travail de l’ETAM concerné… Le comité d’entreprise (CE) ou à défaut les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)… seront consultés sur les conséquences pratiques de la mise en oeuvre de ce décompte de la durée du travail en nombre de jours sur l’année. Seront examinés notamment l’impact de ce régime sur l’organisation du travail, l’amplitude des journées et la charge de travail des salariés concernés…La mise en place du forfait annuel en jours est précédée d’un entretien au cours duquel l’ETAM sera informé de l’organisation et de la charge de travail à venir ainsi que des éléments de rémunération pris en compte…».
8. L’arrêt retient que ce dispositif conventionnel n’est pas de nature à assurer un niveau suffisant de contrôle et de protection tant de la sécurité que de la santé au travail des salariés concernés, s’agissant plus particulièrement du nécessaire suivi de la charge et de l’amplitude de travail, dès lors qu’il se limite pour l’essentiel à prévoir un entretien au moins annuel avec le supérieur hiérarchique, en visant de manière par trop générale que la charge de travail de l’ETAM et l’amplitude de ses journées d’activité doivent rester dans des limites raisonnables, et une consultation des institutions représentatives du personnel, qui n’est pas clairement détaillée.
9. En statuant ainsi, alors que l’article 4.2.9 prévoit également que l’organisation du travail des salariés fait l’objet d’un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos, qu’un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l’employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l’employeur, que ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l’ensemble des jours de repos dans le courant de l’exercice, de sorte que répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assurent ainsi le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires les dispositions de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa version issue de l’avenant n° 3 étendu du 11 décembre 2012, qui imposent notamment à l’employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d’y remédier, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. En application de l’article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif ordonnant à l’employeur de remettre au salarié un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à l’arrêt d’appel, qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
11. La cassation prononcée sur le premier moyen n’emporte pas, en revanche, cassation des chefs de dispositif de l’arrêt condamnant l’employeur aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, justifiés par d’autres condamnations prononcées à l’encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour : »