Convention de forfait et accords collectifs des casinos
Le forfait jour, qui concerne principalement les cadres (l’article L.3121-43 du Code du travail), est un mode de rémunération basé, non pas sur un décompte horaire hebdomadaire, mais sur un nombre de jours de travail par an, ceci normalement prédéfini par convention.
La loi du 20 août 2008, qui régit en partie le mécanisme des conventions de forfait jour, ne fixe pas la durée hebdomadaire maximale de travail. Aucun plafond n’est expressément prévu, de sorte que, pour le déterminer il convient de se reporter au temps de repos.
Depuis, une brèche a été ouverte en 2011 par la Cour de cassation, inspirée par la Charte sociale européenne et par les décisions du Comité européen des droits sociaux sur ce sujet.
En effet, un dernier rapport, rendu par ce Comité et publié en décembre 2010, déclare la réglementation française sur le forfait jour « non conforme à la Charte sociale Européenne » : d’abord sur le temps de travail (78 heures par semaine) jugé manifestement excessif puis sur l’absence de majoration de rémunération à ce titre.
Depuis , flot d’arrêts, vient définitivement fragiliser ce dispositif qu’est la convention de forfait jour avec des conditions toujours plus drastiques posées par les Tribunaux.
Désormais, la convention de forfait jour doit respecter une mise en place stricte et des conditions de validité particulières, tout cela dans une perspective de protection de la santé, de la sécurité et du droit au repos du salarié.
Ainsi, pour être valable, la convention de forfait jour doit être prévue par un accord collectif, et elle doit faire l’objet d’un écrit dûment signé par le salarié mais encore, la convention de forfait jour doit respecter des modalités de calcul spécifiques.
En effet, toute convention de forfait jour doit être prévue par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou à défaut, une convention ou un accord de branche.
Ce sont ces accords qui doivent prévoir des garanties au respect des durées maximales de travail et des temps de repos minima.
Ainsi, il faut toujours vérifier si l’accord d’entreprise ou l’accord de branche contient :
Mentions exigées par la Loi (Art. L 3121-39 et s. Code du travail)
– Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait.
– Les caractéristiques principales de ces conventions, il peut en outre s’agir des modalités de décompte des journées ou demi-journées travaillées (modalités de repos quotidien, hebdomadaire, l’interdiction de travailler plus de 6 jours par semaine)
– La durée annuelle de travail à partir de laquelle le forfait est établi, la loi précise à ce sujet que cette durée ne peut excéder 218 jours.
Par ailleurs, sans ses arrêts du 29 juin 2011 et 31 janvier 2012 la cour de cassation exige :
– La mise en place d’un contrôle du nombre de jours travaillés afin de décompter le nombre de journées de travail et les journées de repos prises.
– L’obligation pour l’employeur de tenir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées et des journées de repos (à savoir le repos hebdomadaire, les jours de RTT, les jours de congé…)
– Le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail.
– La tenue au moins d’un entretien annuel au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail du salarié et l’amplitude de ses journées d’activité.
Si ces caractéristiques principales ne figurent pas dans l’accord collectif, la convention de forfait jour ne sera ni licite, ni opposable.
De même, si l’employeur ne respecte pas les dispositions de l’accord collectif, la convention de forfait jour sera privée d’effet
Dans ces cas, le salarié sera parfaitement en droit de réclamer un rappel d’heures supplémentaires.
Dans le prolongement de cette jurisprudence, ont ainsi été jugés non conformes aux exigences de protection de la santé et de la sécurité des salariés, les accords collectifs :
– des Industries chimiques du 8 février 1999 (Cass. soc., 31 janvier 2012, no 10-19.807),
– de l’Aide à domicile en milieu rural du 6 juillet 2000 (Cass. soc., 13 juin 2012, no 11-10.854),
– des Industries de l’habillement du 1er décembre 1998 (Cass. soc., 19 septembre 2012, no 11-19.016),
– du Commerce de gros du 14 décembre 2001 (Cass. Soc. 26 septembre 2012, n°11-14540).
La Cour de cassation a précisé à cet égard que même un entretien annuel concernant la charge et l’amplitude de travail du salarié concerné et un examen trimestriel relatif aux journées de travail et la charge de travail qui en résulte ne suffisaient pas à garantir la santé et la sécurité du salarié en forfait-jours (Cass. soc., 26 septembre 2012, no 11-14.540).
En effet, selon la chambre sociale, pour garantir le droit au repos et le respect des durées maximales, l’accord d’entreprise doit mettre en place des mécanismes précis de contrôle de l’amplitude et de la charge de travail. L’effectivité de des droits à la santé et au repos du salarié ne peut être assurée qu’au moyen d’indicateurs de contrôle, de dispositifs d’alerte et de moyens propres.
Dernière en date à se trouver épinglée par la cour de cassation, l‘accord collectif des casinos et sa convention collective pour certains de ses cadres désignés comme autonomes.
En effet dans le cadre de six pourvois interjetés par des cadres au forfait exerçant l’activité de Membre du Comité de Direction (MCD) au sein de leur casino, la cour de cassation a eu à étudier le recours de salariés qui contestaient l’autonomie prétendument attachée à leur fonction par un accord collectif ce alors qu’ils devaient suivre des horaires prédéterminés au vu de leur fonction et de leur présence au sein des salles de jeux, ce qui était antinomique avec la notion de cadre autonome.
Ainsi et en toute logique avec sa jurisprudence, la cour de cassation juge que si le salarié cadre doit respecter un planning de présence, il ne peut être défini que comme un cadre intégré au service etsoumis à l’horaire légal (35 heures par semaines) si bien qu’il peut prétendre au paiement de ses heures supplémentaires.
Ainsi la Cour de cassation juge que :
» – le juge doit vérifier que le cadre qualifié d’autonome bénéficie d’une autonomie effective dans l’organisation de son emploi du temps ; que la cour d’appel n’a nullement caractérisé l’autonomie dont disposerait M. X… dans la détermination de ses horaires de travail, constatant seulement, au contraire, que ses horaires étaient intégrés dans des plannings, peu important à cet égard que cette intégration résulte des contraintes inhérentes à la règlementation applicable à l’activité particulière de la SEETE et propre à l’emploi de MCD MAS, imposant notamment la présence de l’intéressé dans les salles de jeux ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 3121-43 du code du travail, de l’article 33-7 de la convention collective nationale des casinos du 29 mars 2002 et l’article VII-3 de l’accord d’entreprise signé le 28 mars 2002 au sein de la société SEETE ; »
– le cadre autonome, au sens de l’accord d’entreprise, est celui dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée du fait de la nature de ses fonctions, des responsabilités qu’il exerce et de l’autonomie dont il dispose dans l’organisation de son emploi du temps ; que la cour d’appel n’a pas constaté l’impossibilité effective de déterminer à l’avance la durée du temps de travail de M. X…, relevant seulement, au contraire, que ses horaires étaient intégrés dans des plannings, peu important à cet égard que cette intégration résulte de l’activité particulière propre à l’emploi de MCD MAS ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-43 du code du travail, 33-7 de la convention collective des casinos et VII-3 de l’accord d’entreprise du 28 mars 2002 ;
– seul le cadre qui bénéficie d’une autonomie dans l’organisation de son emploi du temps peut être soumis à une convention de forfait ; que la cour d’appel n’a pas caractérisé l’autonomie dont disposerait M. X… dans la détermination de ses horaires de travail en évoquant des fonctions d’encadrement du personnel, lesquelles sont par hypothèse communes à tous les cadres, qu’ils soient intégrés ou autonomes ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-43 du code du travail, 33-7 de la convention collective des casinos et VII-3 de l’accord d’entreprise du 28 mars 2002 ;
– le salarié faisait valoir qu’un autre salarié, comme lui MCD MAS et soumis à une convention de forfait, avait été licencié pour avoir eu, à deux reprises, un retard d’une heure dans sa prise de poste, qu’il produisait le jugement du conseil de prud’hommes statuant sur cette rupture et qu’il soutenait que ce licenciement établissait, à lui seul, l’absence de toute autonomie des MCD MAS dans la gestion de leur emploi du temps ; qu’en s’abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le fait qu’un MCD MAS puisse être licencié pour avoir pris son poste avec retard était compatible avec le statut de cadre autonome appliqué à cette catégorie d’employés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-43 du code du travail, 33-7 de la convention collective des casinos et VII-3 de l’accord d’entreprise du 28 mars 2002
– le salarié faisait valoir que les membres du comité de direction des jeux traditionnels ont le statut de cadres intégrés, contrairement à ceux du comité de direction des machines à sous, considérés comme des cadres autonomes, bien que ces deux catégories d’emplois soient similaires, que tous ces cadres aient les mêmes fonctions et qu’ils aient d’ailleurs vocation à se remplacer en cas d’absence (p. 6) ; qu’en s’abstenant de vérifier, comme elle y était invitée, si la distinction faite par l’employeur entre ces deux catégories de cadres était fondée sur des éléments objectifs et pertinents au regard des dispositions légales et conventionnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes précités. »
Cette décision va sans doute pousser les entreprises du secteur à revoir sérieusement les accords collectifs passés pour certains des salariés désignés comme cadres « autonomes » mais qui sont de fait soumis à un planning horaire du fait des contraintes organisationnelles ou légales inhérentes à leur fonction.
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Cour de cassation
chambre sociale
23 janvier 2013
N° de pourvoi: 11-12323 11-12324 11-12325 11-12326 11-12327 11-12328
Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 3121-43 du code du travail ;
Attendu qu’aux termes de ce texte, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l’accord collectif prévu à l’article L. 3121-39 : 1° Les cadres qui disposent d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ; 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X… et cinq autres salariés de la Société d’exploitation des eaux et thermes d’Enghien-les-Bains (ci-après « SEETE »), qui exploite le casino d’Enghien-les-Bains et est régie par la convention collective nationale des casinos du 29 mars 2002, sont employés en qualité de membres du comité de direction des machines à sous (dits « MCD MAS ») avec la qualification cadre niveau VI ; que leur contrat de travail précise qu’ils ont la qualité de cadre autonome et comporte une clause de forfait en jours sans référence horaire prévoyant une durée annuelle maximale du travail de 217 jours ainsi qu’une rémunération forfaitaire correspondant au nombre de jours annuellement travaillés ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de leur statut de cadre autonome en celui de cadre intégré, et la condamnation en conséquence de l’employeur à leur payer des rappels d’heures supplémentaires ;
Attendu que pour débouter les salariés de leurs demandes, les arrêts relèvent, d’abord, que les conventions individuelles de forfait litigieuses sont régulières, dès lors qu’elles font l’objet de l’accord écrit des salariés, correspondent à un nombre d’heures précis, ne sont pas défavorables aux intéressés au regard de la rémunération minimale conventionnelle, et sont autorisées par un accord d’entreprise spécifique visant en particulier la catégorie des MCD MAS ; qu’il retient, ensuite, que la qualité de cadre autonome est reconnue dans les contrats de travail, que l’intégration des horaires de travail des salariés dans les plannings résulte de l’activité particulière propre à l’emploi réglementé de MCD MAS, lequel impose notamment la présence de celui-ci au sein des salles de jeux, que l’utilisation du badge permet d’assurer la circulation au sein d’un établissement sans avoir pour objet de contrôler le temps de travail, et que les fonctions d’autonomie des MCD MAS résultent de l’accomplissement des fonctions d’encadrement du personnel (réunions, évaluations…) non soumises aux contraintes résultant de l’activité spécifique liée à l’exploitation de machines à sous ;
Qu’en statuant ainsi, tout en retenant que les salariés MCD MAS étaient intégrés dans les plannings imposant leur présence au sein des salles de jeux, ce qui était antinomique avec la notion de cadre autonome, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE,