Un départ à la retraite équivoque produit-il les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ?
Lorsque le départ en retraite du salarié est équivoque parce que motivé par des manquements de l’employeur, il doit être requalifié en prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
Les juges du fond doivent ensuite rechercher si ladite prise d’acte produit les effets d’un licenciement dépourvu de toute cause réelle et sérieuse ou d’un départ volontaire en retraite.
Pour se faire, il convient de rechercher si les manquements invoqués par le salarié à l’appui de son départ en retraite (requalifié alors en prise d’acte) sont établis.
Dans l’affirmative, le départ en retraite, alors requalifié en une prise d’acte, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
A contrario, lorsque les faits reprochés à l’employeur ne sont pas établis, la prise d’acte produit les effets d’un départ volontaire en retraite.
C’est ce que rappelle et précise la Cour de cassation dans un arrêt récent du 30 septembre 2015.
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Cass. Soc. 30 septembre 2015, n°13-11858
« LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 1231-1 et L. 1237-9 du code du travail ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… a été engagé le 1er août 1972 par la Caisse interfédérale du crédit mutuel de Bretagne-Arkea et exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable clientèle ; que le 7 août 2009, il a adhéré au dispositif Cap Avenir résultant d’un accord sur l’aménagement de la durée des carrières permettant aux salariés qui le souhaitent d’anticiper avec l’aide de l’entreprise la cessation de leur activité professionnelle ; qu’à l’issue d’un arrêt de travail, M. X… a fait l’objet le 18 novembre 2009 d’une déclaration d’inaptitude à tous postes de l’entreprise, puis a refusé une offre de reclassement à la direction départementale ; que par lettre du 3 mars 2010, il a fait part à son employeur de sa renonciation au dispositif de départ à la retraite ; que le 29 mars 2010, le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ; que le 17 mars 2011, il s’est vu notifier, par son employeur, sa radiation du système de complémentaire santé au motif que son contrat de travail était rompu à compter du 1er avril 2011 à la suite de son départ en retraite ; que celui-ci a alors demandé la requalification de ce qu’il a estimé être une mise à la retraite en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que pour analyser la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et faire droit aux demandes d’indemnités de rupture du salarié, l’arrêt retient que M. X… a adhéré le 7 août 2009 au dispositif Cap Avenir résultant d’un accord sur l’aménagement de la durée des carrières permettant aux salariés qui le souhaitent d’anticiper, avec l’aide de l’entreprise, la cessation de leur activité professionnelle ; que sur le formulaire d’adhésion, il a inscrit : « dès que possible : départ prévu 11 juin 2010 » ; qu’il est également établi qu’il a approuvé par sa signature, le 12 décembre 2009, la lettre du Crédit mutuel du 10 décembre l’informant que son relevé de carrière permettait de fixer la date d’acquisition de ses droits à la retraite à taux plein au 1er avril 2011, et qu’en raison des congés acquis, il serait en congé de fin de carrière à compter du 11 août 2010, son contrat se poursuivant jusqu’à la date de la liquidation de ses droits à la retraite ; mais outre que ce dernier document ne mentionne pas les conditions exactes de l’accès à la retraite (départ volontaire ou mise à la retraite à l’initiative de l’employeur), et que par lettre du 16 août 2010, M. X… faisait connaître sa décision de ne pas faire valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2011, les nombreux messages du salarié invoqués par l’employeur ne peuvent être considérés comme l’expression par ce dernier d’une volonté claire et non équivoque de partir à la retraite de son initiative, qu’en effet, par ces différents messages, l’intéressé exprimait clairement qu’ il envisageait son départ à la retraite en raison des nombreux refus de promotion qui lui ont été opposés et de l’entrave à ce qu’il estimait qu’aurait dû être le déroulement de sa carrière, que dans un tel contexte, il apparaît que les différents messages concomitants dans lesquels M. X… évoquait son départ à la retraite ne peuvent caractériser sa volonté claire et non équivoque d’un départ en retraite ;
Attendu cependant que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu’à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou, dans le cas contraire, d’un départ volontaire à la retraite ;
Qu’en statuant comme elle a fait, après avoir retenu que la décision de départ du salarié à la retraite était équivoque en raison des manquements qu’il imputait à son employeur, ce dont elle aurait dû déduire que ce départ à la retraite devait s’analyser en une prise d’acte, et après avoir constaté que les faits avancés par le salarié de refus de promotion et d’entraves dans le déroulement de sa carrière n’étaient pas établis, en sorte que la rupture du contrat de travail produisait les effets d’un départ volontaire à la retraite, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de dommages-intérêts fondées sur un harcèlement moral et sur une exécution de mauvaise foi du contrat de travail, l’arrêt rendu le 12 décembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;
Condamne M. X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille quinze. »